Monsieur le ministre,
Je viens de terminer votre
tribune libre sur Marafa Hamidou Yaya dans Cameroon Tribune, notre pravda
nationale. J’ai lu votre texte avec stupeur, effroi et tristesse. Ainsi donc,
il a suffit d’un simple… effleurement pour que vous bandiez… Les poignantes
lignes épistolaires de Marafa ont eu le mérite de rompre avec fracas votre
silence assourdissant. Et du coup, elles vous ont poussé à posséder subitement
l’énergie phallique de ceux qui, revenus d’entre les morts (ce fut réellement
votre cas), paraissent ne reculer devant rien.
Comme vous, je ne vais pas
m’encombrer de nuances. Souffrez donc que je brise la loi du « politiquement
correct » et, par-delà ses « outrances », pour lever le soi-disant « tabou »
d’interpeler un ministre de la République sur la place publique. J’ai trouvé
votre sortie haïssable dans le fond, dans la forme, et racoleuse parce que vous
tentez d’exploiter cette affaire pour vous repositionner et redorer votre
blason sur l’échiquier, quitte à renier le camarade et l’ami d’hier. Haïssable
et violente enfin, pour ceux qui ne savent pas lire entre les lignes. J’y vois
le soupir désespéré d’un apparatchik habité par la hantise de perdre le fruit
de ses rapines.
Souffrez encore que je vous
dise, à votre plus grand déshonneur, qu’en fait, votre tribune n’est rien
d’autre qu’un réquisitoire incandescent dont le but ultime est d’attirer
l’attention de votre créateur, surtout au moment où votre long silence devenait
soupçonnable en haut lieu. Votre sortie est une véritable éructation viscérale
qui vise à anesthésier les populations face à la gloutonnerie de votre régime.
Nous vivons ce moment étrange de notre histoire où, pour être vertueux, pour
être moral, pour être un type bien dans le système, il faut faire en sorte que
la vérité n’affleure jamais.
Monsieur le ministre, le beau
temps est terminé, y compris pour vous. Votre créateur est imprévisible et
incontrôlable, ne vous étonnez pas d’être pris dans les serres demain. Surtout
que vous n’êtes pas sans reproches ni taches… On se souvient, il y a quelques
temps, des accusations d’autisme portées contre vous par ‘’le fou du roi’’,
votre camarade du parti Charles Atéba Eyene, qui voyait en votre silence une
collusion avec Marafa. Par le jeu des contrastes, vous prenez tout le monde à
contre-pied comme d’habitude pour essayer de vous dédouaner. Hier c’était
Jean-Jacques Ékindi que vous laissiez en rase campagne pour votre intérêt
politique personnel, alors que vous animiez ensemble le courant progressiste au
sein du RDPC à Douala. Aujourd’hui c’est Marafa. A qui le tour demain? Biya
devrait se méfier du genre de personnes comme vous. Sachez cependant qu’une
République et une démocratie ont besoin de vertu, de transparence, de cohérence
et de convictions.
A travers vous, je dénonce
l’imposture de cette coterie qui a fait de l’hypocrisie et du reniement son
fonds de commerce. Ce qui m’indigne et m’écœure dans votre tribune, et sûrement
avec moi des millions de Camerounais, c’est le parjure sur les faits. Avec les
avantages et les honneurs de votre rang, vous avez le devoir et la
responsabilité de reconnaître et de soutenir, par des actes institutionnels
opportuns, ce qui compte vraiment. Malheureusement, à l’épreuve des faits,
votre position ne vous amène même pas à réunir les conditions morales pour éprouver
de la honte. Mais une question de fond demeure : Avez-vous jamais eu un code
des valeurs? J’ai l’impression que non. Votre tribune s’apparente à un acte
délibéré de mauvaise foi pour protéger votre beefsteak.
Il est intellectuellement et
moralement inacceptable de tenir un discours aussi transgressif sur la réalité
camerounaise que vous connaissez bien. Vous dites que le changement est en
cours? Je veux bien vous croire. Mais de quel changement parlez-vous?
Certainement dans la bêtise infinie ou dans la régression. 30 ans
d’improvisation abyssale, trente années d’un règne épouvantable et improductif,
trente années d’impudicités de tout ordre et de détournements faramineux des
avoirs du peuple camerounais, ont fait basculer la majorité silencieuse dans une
indigence absolue et scandaleuse.
Qu’avez-vous fait de ce
pouvoir que le peuple vous a offert par défaut depuis 30 ans? Si ce n’est un
ralentissement général sur tous les plans des années durant du Cameroun et la
perpétuation du mal. Vous avez contribué pendant des années à bâtir une société
inégalitaire, politiquement muette, bloquée, désemparée et démotivée.
Vous comprenez pourquoi la
sidérante inculpation, puis la condamnation de Marafa Hamidou Yaya ne sont que
l’arbre qui cache la forêt. Marafa est peut-être un délinquant économique dont
la condamnation aurait été saluée dans un pays normal. Sauf que plusieurs
autres membres de votre régime ont été pris en flagrant délit de kleptomanie,
de prévarication, de concussion et autre passe-droits sans que la justice ne
s’intéresse à eux. Pouvez-vous jurer la main sur le cœur que votre gestion des
affaires est exempte de tout reproche? Que dire de votre patron Paul Biya, ou
encore Ze Meka, Mebe Ngo, Mendo Ze - que je vous rappelle a été condamné par le
très officiel Conseil de discipline budgétaire et comptable -, Akamè Mfoumou ou
son célèbre muet de frère, Fouman Akame qui ne nous a toujours pas expliqué à
ce jour où sont passés les milliards de sang du crash du Boeing de la Camair.
Sont-ce des enfants de cœur? Comment pouvez-vous justifier cette politique de
deux poids deux mesures?
Que dire du refus incongru de
se soumettre à la loi, à l’instar de la déclaration des biens écrite noir sur
blanc à l’article 66 de la constitution que votre propre parti, largement
majoritaire à l’Assemblée nationale a initié et voté? Est-ce là des positions
défendables? L’exemple ne vient-il pas d’en haut? Citez-moi un seul baron de
votre régime qui l’a fait, à commencer par Paul Biya. Cela dénote de vos
convictions démocratiques à géométrie variable. Vous avez peur d’être pris à
votre propre piège.
Ce ne sont pas les
fanfaronades d’un Issa Tchiroma Bakary, opposant d’opérette et bouffon de
service à ses heures perdues, plusieurs fois pris en flagrant délit de mensonge
qui y changeraient quelque chose. L’expérience a montré que votre justice à
tête chercheuse choisit ses victimes parmi les plus audacieux d’entre vous.
Pendant ce temps, de nombreux autres parrains de la haute mafia étatique sont à
l’abri des poursuites judiciaires. Apparemment, tant et aussi longtemps qu’ils
ne vont pas lorgner le fauteuil du machiavel d’Étoudi, ils peuvent continuer à
se pavaner et à se bronzer sur des croisettes avec l’argent spolié aux
Camerounais.
Une autre question lancinante
à laquelle vous aurez du mal à répondre est la suivante : L’argent débloqué
après moult acrobaties pour l’achat du BBJ et de l’Albatros était-il justifié
pour un pays en plein ajustement structurel? Qui a appris à couvrir les
jongleries à ses collaborateurs pour son seul plaisir? Par quel processus
bizarre certains d’entre vous qui prennent les devants aujourd’hui peuvent-ils
justifier la fortune colossale qu’ils ont amassée? Nous nous rendons compte de
guerre lasse, que vous n’êtes pas à la hauteur de l’œuvre, que nous avons remis
le pouvoir à des professionnels politiques peu recommandables.
En véritables opportunistes
avides de jouissances et de facilités, votre descente dans le ring, ne peut que
tromper des naïfs. Enraciné comme vous êtes dans vos convictions et vos
certitudes qui rendent toute autre logique inconcevable et inadmissible,
l’affaire Marafa a secoué la République jusque dans ses tripes comme nulle
autre affaire auparavant. La preuve, les bien-pensants comme vous, loin de bien
lire le thermomètre social, préfèrent cautionner des méthodes honteuses et
odieuses, dont on serait bien curieux par ailleurs de voir ce qu’elles
donneraient si elles s’appliquaient à eux demain.
De votre fait, le pays est aujourd’hui dans l’impasse. Résultat: nous sommes
face à un blocage explosif qui n’attend qu’une étincelle. Non, le pyromane
n’est pas et ne sera certainement pas celui que vous dénoncez dans votre
tribune, mais plutôt votre propre régime. Le ver est dans le fruit. Votre parti
dominant s’est donné tous les moyens concrets de tout gagner et de tout
contrôler. Son habileté diabolique aura su s’employer à alterner le recours à
la menace, l’usage de la cooptation, la couverture des malversations et du
blanchiment, sous l’affichage d’un multipartisme apparent et d’un dialogue avec
l’opposition en trompe l’œil. Dans votre rapport à la société, le RDPC au
pouvoir n’a de cesse de continuer de jouer de la menace à la paix, comme vous
le faites maintenant. Pendant ce temps, vous continuez à accumuler des biens
par le biais d’un affairisme extrême à tous les niveaux.
La vie politique n’a pas
échappé à la corruption par l’argent. La cooptation et le ralliement politique
se sont achetés comme à l’étalage. La prédation systémique est érigée en
véritable mode de gouvernement. Loin d’être de simples dysfonctionnements ou de
pures aberrations, cette situation se traduit pour la majorité des gens par une
vulnérabilité et une subordination sociales extrêmes vis-à-vis du détenteur du
pouvoir. Elle apparaît comme un moyen de chantage vis-à-vis des récalcitrants
et une condition de la paix sociale.
Comme vous le savez, la farce
des élections est délibérée et ne fait rien d’autre que l’anéantissement de
tout rêve d’alternance par les urnes avec le viol grossier du suffrage
universel, des libertés et le renforcement d’un pouvoir autoritaire et policier
qui interdit les manifestations de l’opposition. A vous voir faire, il n’y a
pas l’ombre d’une volonté de modernisation, mais plutôt une régression
conservatrice qui est en permanence mise en œuvre.
Les institutions se sont
délégitimées, le débat politique inexistant. Tous les principes moraux et
politiques qui fondent une République exemplaire n’ont jamais existé. Sur le
plan international, la diplomatie patauge, le pays est silencieux, sauf pour se
gargariser d’une simple poignée de mains obtenue aux forceps à Kinshasa par le
Président Biya à François Hollande. Chiche, pauvre Cameroun!
Architectes de toute les
manipulations et manigances, la classe politique compte toujours les mêmes
politiciens d’il y a 50, 40, 30, 20 ans ou leurs fils, neveux et nièces, etc.
Il en est de même des oligarchies rentières, c’est-à-dire ces réseaux de
familles d’hommes d’affaires qui raflent les richesses nationales grâce aux
fraudes, ficelles et autres combines.
Comme les partis politiques,
le syndicalisme est étouffé et réprimé. Dans les services publics moribonds, le
favoritisme, l’opportunisme et la corruption tiennent lieu de référents. Le
pouvoir d’achat des citoyens est en chute libre. En lieu et place d’emplois
décents pour les jeunes qui se déversent chaque année sur le marché du travail,
c’est plutôt l’incitation à la débrouille, à l’économie du marché noir ou au
chômage, si ce n’est la feymania ou le grand banditisme.
Vous parlez d’une certaine
presse instrumentalisée. Je comprends à ce sujet que vous ne supportez pas la
présence et l’expression d’idées contraires aux vôtres. Savez-vous au moins
l’importance d’une presse libre dans un pays? N’est-ce pas vous qui avez
instrumentalisé et bâillonné la CRTV et Cameroon Tribune, des organes pour
lesquels tous les contribuables camerounais payent des taxes, et cela, depuis
des décennies? Les jours pairs, vous dénoncez une certaine presse et les jours
impairs, vous recourez à elle pour faire passer vos messages soporifiques et
propagandistes à la gloire du timonier national. Qu’est-ce que vous êtes
pitoyable et comique!
Dans votre parti de tricheurs
et de menteurs qu’est le RDPC, vous êtes prisonniers d’un esprit conservateur
tellement sclérosé qu’il ne conçoit du pouvoir que la stagnation, incapables de
faire face à la misère des populations. Malgré le portrait élogieux que vous
faites du Renouveau pour vous donner bonne conscience, votre discours évoque le
contraste existant entre vos déclarations et l’état nauséabond des lieux. Une
misère insupportable.
Lorsque ceux qui gouvernent
comme vous font la sourde oreille aux souffrances du peuple, et refusent de
faire des concessions pour apaiser les frustrations, ils ouvrent la porte à la
violence. Non, les Camerounais ont cessé de rêver. Dans un pays pris en otage
par une horde d’insatiables invités à la noce, ce ne sont pas les lettres de
Marafa qui vont soulever les masses. La haine et les rancœurs que la majorité
des gens dans ce pays éprouvent pour votre système et ses promoteurs est
aujourd’hui incommensurable. Ce sont ces frustrations accumulées à longueur
d’années qui risquent condamner, tôt ou tard, le pays à une impasse tragique et
occasionner des émeutes, devenues la forme d’expression rampante privilégiée
dans un contexte d’immobilisme généralisé. La violence et la colère du peuple
que vous semblez redouter aujourd’hui ne seront qu’un retour de bâton logique à
toutes les souffrances et humiliations que vous lui avez infligées,
contraignant nombre de Camerounais à la paupérisation et à l’exil.
Non content d’avoir saigné ce
pays à blanc, vous voulez maintenant procéder à la manipulation des masses. Je
comprends que vous ayez une peur bleue de la révolution, mais à moins d’un
problème de compréhension de votre part, Marafa n’a jamais appelé à une
insurrection dans sa cinquième lettre. Il a été clair: pas de violence. Par
contre, souvenez-vous des événements de 2008. Le peuple meurtri s’était levé
contre votre régime, en guise de réponse, vous l’avez réprimé dans le sang,
tuant des centaines de compatriotes.
Monsieur le ministre, en
politique, on a parfois besoin de personnalités hardies, pas seulement des
béni-oui-oui. A défaut d’arguments convaincants, ayez au moins la décence de
vous taire! Le fricotage avec la réalité ne paie pas à la longue. Vous venez de
nous démontrer votre incapacité à vous élever. On dirait que le pouvoir de
votre créateur a réussi à tous vous transformer, en une bande de pouilleux
surexcités, moralement appauvris par l’abdication intellectuelle et les avantages
factices qui étranglent, devant vos yeux, les enfants, les femmes, les jeunes,
la vie dans l’insatisfaction, l’aliénation, la psychose et le chômage, sans que
vous ne bougiez le petit doigt, aidant au contraire, à mieux écraser le petit
peuple. Croyez-mi, ces problèmes fondamentaux méritent autre chose que vos
imprécations.
Escamoter les réalités que
connait le pays, c’est ne pas choisir le chemin de la vérité et faire le lit
d’un soulèvement inéluctable. Or vous pouvez faire cesser beaucoup de ces dysfonctionnements
en disant la vérité au Président Biya. Qui donc, à part vous qui êtes aux côtés
du Prince, pourrait mieux lever le bouclier contre la barbarie institutionnelle
qui nous écrase et nous dévore?
Malheureusement, vous vous
affirmez au fil des jours comme des garants de l’immobilisme au pouvoir, plus
soucieux de vos maroquins ministériels. Bien plus, vous vous montrez comme de
sordides chacals, des vils, des goinfres courbés comme des chiens sur leurs
bols, des quémandeurs qui n’arrivent pas à voir plus loin que le bout de leur
nez et qui recourent à la fourberie pour arracher des morceaux de bouffe du
corps agonisant d’une République en putréfaction.
Seulement monsieur le
ministre, il y a un temps pour tout. Le vôtre est totalement révolu. Un monde
nouveau approche. Votre créateur n’en a plus pour longtemps et où que vous
serez après lui, on vous trouvera. Comme les autres vous aurez à rendre des
comptes au peuple.
En attendant, apprenez donc à
faire profil bas. Bien à vous!
Dr Désiré Essama Amougou
Médecin urgentologue
Hearst, Ontario (Canada)
dr.deesam@gmail.com