Marafa

Marafa
Le prisonnier légendaire du SED.

mardi 6 novembre 2012

LA PREMIÈRE DAME ET LA FAILLITE DE LA SCB


Dans une série d'article retro, la rédaction de notre quotidien revisite un aspect non négligeable du bilan du renouveau: les finances de la famille de Paul Biya, l'homme qui incarne justement ce renouveau sans interruption depuis le 6 novembre 1982. Cet éclairage se fera notamment à la lumière des propos de Robert Messi Messi, l'ancien directeur genéral de la Société Camerounaise de Banque SCB. Cette institution financière avait disparu dans un contexte de faillite particulièrement floue. L'histoire de la faillite de la SCB présente en effet plusieurs similitudes avec l'affaire Albatros qui a récemment conduit le duo Marafat Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso en prison. Sauf que dans le cas de la SCB, son ex-directeur a pu quitter le pays pour ensuite s'exiler aux USA.
Début de l'année 1988, la banque française Crédit Lyonnais décide de s'offrir la SCB, un véritable fleuron dans le cercle des institutions financières du Cameroun de cette époque. Un audit devait dès lors être mené par des experts du Crédit Lyonnais avant l'opération de rachat de la SCB. Face à la redoutable opération d'audit, les masques tombent. Robert Messi Messi explique la faillite de la SCB et son éviction de la direction de cette institution.
Célestin Monga : On aurait presque envie de s'apitoyer sur votre sort. Mais vous n'êtes pas sans connaître les graves accusations lancées contre vous le 9 avril par Garga Haman Adji, ministre de la Fonction publique et du Contrôle de l'Etat. Vous êtes mis en débet de 3 milliards 258 millions de F CFA, et les enquêtes se poursuivent pour des comptes débiteurs de 49 mil­liards de F CFA.
Robert Messi Messi : Nous allons y venir. Je préférerais que nous parlions d'abord de mon limogeage. A la fin de juillet 1988, alors que j'étais malade et hospitalisé dans une clinique de Yaoundé, mon épouse me dit que Mme Irène Biya souhaite me parler d'urgence, et qu'elle a même téléphoné à mon domicile. J'ai l'ai rappelée le lendemain, pour m'entendre dire qu'il fallait que j'aille d'urgence procéder au paiement de 1 milliard 250 millions en faveur de Cacoub. Comme d'habitude, je me prépare à exécuter cet ordre. Je demande une autorisation de sortie du territoire au ministre des Finances, Sadou Hayatou, qui refuse, arguant que je dois d'abord programmer l'audit de la banque.
Célestin Monga : N'étant pas informé de la mission que Jeanne Irène Biya vous avait confiée, Sadou Hayatou ne pouvait que refuser d'autoriser le déplacement. Ce d'autant que cet audit devait être mené par des experts du Crédit Lyonnais, qui se pro­posaient de racheter la SCB'
Robert Messi Messi : Exact. Vous comprenez donc mon embarras. Là-dessus, je rappelle Mme Biya pour l'informer du blocage. Quelques jours après, le même mi­nistre des Finances se trouve contraint de m'accorder une autorisation de sortie. Sans doute après avoir subi des pressions. Toujours est-il que je me rends à Paris début août, pour effectuer les virements de­mandés. De retour au Cameroun, j'en informe la patronne. Et comme s'il m'attendait, le ministre Sadou Haya­tou m'enjoint de commencer l'audit. Je me dis que je risque d'être coincé. J'appelle de nouveau Mme Biya pour lui dire que nous sommes dans une position impossible à tenir, et qu'il faut, soit informer le ministre des Finances pour qu'il fasse surseoir à l'audit des experts du Crédit lyonnais, soit trouver des fonds pour renflouer ' fût-ce provisoirement ' la banque. Elle n'a pas paru enchantée par mes propos. Comme elle ne sem­blait pas pressée de régulariser ses comptes, je lui ai promis d'essayer de repousser l'audit au 15 septembre, ce qui nous laissait quelques semaines de délai. Or, surpris, je reçois le lendemain la visite de Mva Albert, l'homme de main de Mme Biya, qui vient me demander d'effectuer un nouveau voyage à Paris pour régler de nouvelles factures de M. Cacoub. Alors là, je me suis rebiffé.
Célestin Monga : Je ne comprends pas. Cela veut-il dire qu'elle ne percevait pas l'urgence de la situation '
Robert Messi Messi : Vous savez, les chefs d'Etat, Si vous n'avez pas fréquenté ce milieu, vous ne pouvez pas comprendre comment ils fonctionnent; En-tout cas, cela n avait pas l'air de l'émouvoir. C'étaient' mes problèmes, pas les siens. Et deux jours après mon refus d'obtempérer, entre le 24 et le 25 août, j'ai reçu dans des malles métalliques la somme de 1,5 milliard de F CFA destinés à régulariser partiellement ses comptes.
Célestin Monga : Puis, le 28 août, vous êtes limogé
Robert Messi Messi: Voilà ! Allez y comprendre quelque chose. Je me préparais à faire dé­marrer l'audit, car cette arrivée de fonds non négligeable enclenchait un processus de remboursement suscep­tible d'impressionner favorablement les contrôleurs. A partir du moment où la créance ne pouvait plus être considérée comme gelée, les débits en compte devenaient techniquement défendables. Mon limogeage m'est tombé sur la tête brutalement. Je ne pouvais pas imaginer quitter la banque dans ces conditions.
Célestin Monga : Nombreux sont ceux qui estimaient, vu la situation de quasi-faillite de la SCB, que vous étiez resté trop longtemps à sa tête
Robert Messi Messi: Je comprends que le citoyen ordinaire ait pu penser cela. Mais le chef de l'Etat connaissait mieux que qui­conque la cause des difficultés de trésorerie et les raisons de la fragilité de la banque ! Sa femme pensait peut-être que l'argent pris ne devait pas être remboursé. Mon limogeage tra­duit son exaspération devant mon insistance à recouvrer cette dette.
Célestin Monga : Du point de vue de la technique bancaire et de la réglementation en vigueur au Cameroun, il est tout de même assez difficile de mettre en place des procédures permettant des mouvements de fonds aussi importants. Comment procédiez-vous pour signer tout seul des ordres de virement dépassant largement vos pouvoirs, sans que cela n'attire l'attention de vos responsables de la comptabilité et informatique'
Robert Messi Messi : C'est vrai que ce n'était pas toujours évident. Je suis parti de l'idée que l'argent dépensé pour le compte de M. et Mme Biya était une sorte de crédit relais, devant s'apurer très rapidement. Ensuite, j'ai ouvert des comptes numérotés et confidentiels, ne correspondant à aucun nom de client. Ils étaient toujours en double. L'un était en permanence créditeur d'une somme dérisoire, ou de solde nul. N'importe quel agent de la banque pouvait le consulter. L'autre était le compte principal débiteur, enregistrant tous les retraits de fonds. Nous n'étions que deux fondés de pouvoir à y accéder.
Célestin Monga : C'est étrange : l'ordonnance d'août 1985 régissant l'activité des banques commerciales au Cameroun ne permet pas de proposer des comptes numérotés à la clientèle. De nombreux experts officiels estiment qu'il n'est pas possible de lancer ce type de produit sur le marché bancaire'
Robert Messi Messi: Je peux vous révéler que j'ai tenu des comptes numérotés dans ma banque pour les affaires de M. et Mme Biya. Et cela a duré de longues années' Voici d'ailleurs quelques nu­méros :31 109 242/48 ; 31109 349/ 58; 31109333/42; 31109237/43; 31110937/94. Les deux premiers cités étaient au nom de Azé'e Ongono Jérémie ; les autres étaient ouverts au nom de Mva Albert Cherel. S'agissant maintenant des virements à l'étranger, je précise que je me rendais toujours personnellement à Paris pour les exécuter, ce qui assurait le maximum de confidentialité aux opérations, vu que j'avais une signature accréditée chez American Express. Evidemment, je ne signais pas d'un seul coup des ordres de 1 ou 2 milliards. Je restais une ou deux semaines à Paris, et j'échelonnais les transferts sur sept, dix ou quinze jours, pour que les montants fractionnés n'attirent pas l'attention.
Célestin Monga : Même avec un système de comptes confidentiels, le trésorier de la SCB devait percevoir de gros mouvements défends '
Robert Messi Messi: Oui, et c'est ce qui entretenait la rumeur publique. Mais le trésorier ne savait ni d'où venait l'argent, ni où il allait. Et sur ce type d'opérations, je m'arrangeais pour que les pièces comptables ne prennent pas le circuit habituel'
Célestin Monga : Vous aviez été nommé directeur général de la SCB en avril 1983, soit moins de six mois après l'accession de Paul Biya au pouvoir. Vous aviez 34 ans et pas d'expérience de management d'une banque commerciale. Depuis combien de temps connaissiez-vous le Président '
Robert Messi Messi: Avant ma nomination, je ne l'avais rencontré qu'une fois. A l'époque, il était encore premier ministre. C'est l'ancien ministre Charles Onana Awana qui avait organisé cette rencontre. Travaillant alors à la BEAC comme conseiller du gouverneur, j'étais bien informé de la situation. Cet entretien avait duré dix ou quinze minutes. Puis un jour, j'ai appris que je venais d'être nommé directeur général de la SCB.
Célestin Monga : Fin 1983, la SCB était la première banque camerounaise. Cinq ans plus tard, elle était en faillite. Même si l'on n'est pas manichéen, le bilan de votre gestion est simple à établir'
Robert Messi Messi: Détrompez-vous : en 1983, le système bancaire camerounais connaît déjà de sérieuses difficultés. D'ailleurs, au moment de ma nomination les responsables de la BEAC m'avaient conseillé de refuser ce poste à la SCB ; car le Crédit Lyonnais avait quitté le conseil d'administration et refusait de nommer le directeur général adjoint comme les textes le prévoyaient; ceci pour manifester son mécontentement par rapport à la manière dont la banque avait été gérée par mon prédécesseur, Robert Naah.
Célestin Monga : Le talent d'un manager ne tient-il pas justement à son aptitude à changer positivement le cours des choses '
Robert Messi Messi: Pendant les deux premières années, la situation a commencé à s'améliorer. Ce n'est qu'à partir de 1986, lorsqu' on m'a demandé de financer les investissements de monsieur et madame Biya, que la banque a plongé.
Célestin Monga : Soit au delà de ces actions précises quelles décisions prenez-vous pour sortir la SCB du mauvais état dans lequel vous dites l'avoir trouvée ' Déjà, les autres actionnaires étrangers qu'étaient le Crédit foncier Lyonnais, la Deutsch Bank, la Banca Commerciale Italiana et la Morgan Bank essayaient de vendre leurs partis de capital '
Robert Messi Messi: Le principal problème de la banque était qu'elle n'avait plus de partenaires extérieurs. Les quatre actionnaires extérieurs Les quatre actionnaires étrangers dont vous parlez n'assistaient plus au conseil. Cette stratégie de la chaise vide était pour eux un moyen de pression sur le gouvernement, pour que la gestion soit plus rigoureuse. Je me suis attache prioritairement à trouver de nouveaux partenaires. Vous savez qu'une banque n'a aucune vraie dimension si elle ne peut s'appuyer sur un réseau extérieur solide, capable de servir sa clientèle partout dans le monde. J'ai entamé des négociations avec le monde. J'ai entamé des négociations avec la Société Générale de banque de Belgique et la Banque Belgo-Allemande, les Italiens et les Américains. Avec le Crédit Lyonnais, mes discussions ont abouti à la signature des accords de coopération d'août 1987, par lesquels il apportait 15 milliards de FCFA à la banque comme prêt à long terme. Il nommait également des cadres, notamment le DGA, qu'il n'avait plus désignés depuis de nombreuses années. Enfin, il subordonnait l'accroissement de sa participation au fameux audit dont nous avons parlé tout à l'heure (ndlr, lire l'article intitulé Cameroun, 6 novembre 1982: La première dame du renouveau et la faillite de la SCB). Vous voyez donc qu'au moment où les choses se redressaient, M. et Mme Biya ont affaibli la trésorerie de la SCB.
Célestin Monga : Ce n'était pas vos seuls clients ; en matière de politique de crédit, vous avez fait preuve d'une certaine légèreté dans l'appréciation du risque ! Par ailleurs, n'auriez-vous pas dû faire une évaluation précise du portefeuille, sorte d'état des lieux au moment de votre arrivée à la tête de la banque pour rétablir clairement la part de responsabilité de chacun '
Robert Messi Messi: Cela a été fait. Je peux vous annoncer aujourd'hui en exclusivité qu'avec l'aide du Crédit Lyonnais, un rapport d'audit évaluant le fonds de commerce en 1983 évaluait le « trou » entre 15 et 20 milliards de F CFA ! Le ministre des Finances et le chef de l'Etat le savaient. Il faut dire que c'était une période euphorique pour l'économie camerounaise. Vingt milliards de déficit, cela ne se voyait pas, et cela ne dérangeait personne.
Célestin Monga : Quelles mesures techniques avez-vous alors préconisées pour arrêter l'hémorragie '
Robert Messi Messi: J'ai été le premier à proposer, dès 1984, des réductions d'effectifs, la compression des frais généraux, et la réduction du nombre d'agences des banques. J'ai soumis un plan d'assainissement allant dans ce sens au ministre des Finances de l'époque, Etienne Ntsama, et au président Biya. Mais personne n'en voulait. Pensez-vous : je demandais à la fois 20 milliards pour renflouer la banque, et un allégement substantiel des effectifs. On m'a tout de suite accusé d'être à la solde des Blancs !
Célestin Monga : Pourquoi faut-il toujours s'en remettre à la hiérarchie pour adopter des décisions qui paraissent justes ' Vous auriez pu, dans le cadre des pouvoirs et du mandat qui vous avaient été attribués par le conseil d'administration, rendre exécutoires des mesures d'assainissement d'ordre interne !
Robert Messi Messi: C'est ce que j'ai essayé de faire. J'ai sanctionné des cadres qui s'étaient rendus coupables de malversations. Immédiatement, j'ai reçu une instruction du ministre des Finances m'informant que le chef de l'Etat me demandait de revenir sur mes décisions. J'ai sollicité le soutien de mon président du conseil Ahmadou Hayatou, qui m'a dit ceci : « Vous ne pouvez rien faire ; c'est le président Biya qui le demande' » J'ai résisté pendant près d'un mois, avant d'annuler des nominations que j'avais déjà annoncées. Cela a sans doute affaibli mon autorité dans la banque.
Célestin Monga :Vous n'avez pas résisté davantage à la tentation de procéder à des recrutements de complaisance !
Robert Messi Messi: Non, vous vous trompez. J'avais constaté que l'une des principales faiblesses de l'entreprise était une déficience certaine au niveau de la formation. J'ai donc mis en place un programme de recrutement de cadres pointus, sélectionnés par un cabinet de grande réputation, et ensuite formés pendant deux ans par le Centre international de formation à la profession bancaire (CIFPB) d'Alain Lenoir. La preuve de la justesse de cette politique est que tous ceux que j'avais recrutés ont survécu à la restructuration de la SCB. Tous les agents licenciés avaient été engagés par mes prédécesseurs Edouard Koulla et Robert Naah.

Célestin Monga : Parlons maintenant de la gestion technique de la SCB. On vous accuse, à raison selon moi, d'avoir accordé des crédits de complaisance à des personnalités politiques pour être bien vu, et pour faire une éventuelle carrière politique'
Robert Messi Messi: C'est une accusation injuste. Reprenez le bilan de la SCB au 31 mars 1983, c'est-à-dire avant ma nomination. L'essentiel des créances compromises de la banque existait déjà ! J'ai, au contraire, passé mon temps à essayer de récupérer l'argent auprès de gens politiquement puissants, et qui ne voulaient pas payer leurs dettes !
Célestin Monga : Comment expliquez-vous dans ce cas que l'on constate une nette dégradation du portefeuille de la SCB sous votre gestion '
Robert Messi Messi: C'est simple. La structure générale du système bancaire au début des années quatre vingt était telle que l'essentiel des crédits accordés par les banques allait aux sociétés d'Etat. Et effectivement, il m'est arrivé, sur pression de tel ou tel ministre, d'accorder des crédits à des sociétés qui techniquement ne le méritaient pas, mais uniquement pour des raisons sociopolitiques. Lorsque des planteurs de la Sodécoton menaçaient de se mettre en grève, le ministre de l'Agriculture demandait que nous, les banquiers, nous autorisions des décaissements de fonds pour apaiser les esprits. Personne n'aurait pu se dérober à de telles injonctions' De même, lorsque les créanciers étrangers de la Cameroon Airlines menaçaient d'engager une vigoureuse action judiciaire contre la compagnie, nous étions les premiers sollicités. La Camair a laissé une ardoise de 3,5 milliards de F CFA à la SCB !
Célestin Monga : C'est vrai que la plupart des crédits octroyés par les banques camerounaises sont allés aux sociétés d'Etat. Mais il y a une fraction non négligeable, portant quelquefois sur des sommes très importantes, qui a été accordée à des personnalités précises, dont on savait qu'elles ne disposeraient jamais du pouvoir d'achat suffisant pour les rembourser'
Robert Messi Messi: Je vois à qui vous faites allusion. S'agissant des commerçants originaires du Nord-Cameroun et spécialisés dans l'importation et l'exportation de farine ou de riz (je pense notamment à quelqu'un comme Fadil), je peux vous assurer que la quasi-totalité des crédits mis à leur disposition par la SCB a été accordée par mes prédécesseurs. Vous pouvez le vérifier en étudiant la Centrale des risques de la BEAC. J'ai plutôt passé mon temps à leur courir après pour des crédits de consolidation. En revanche, j'ai essayé de diversifier géographiquement la clientèle bénéficiant de crédits.
Célestin Monga : Voulez-vous dire par là que vous faisiez de l'équilibre tribal en matière d'octroi de crédits '
Robert Messi Messi: Non, j'évitais de prêter le flanc à la critique dans ce domaine. Mon responsable du crédit était un jeune cadre originaire de l'Ouest. Il n'était donc pas de mon ethnie.
Célestin Monga : Certaines personnalités ne justifiant pas d'un niveau de revenu permettant un remboursement de crédit important ont tout de même bénéficié de vos largesses, et toujours pour des prêts se montant à plusieurs centaines de millions. Elles n'ont jamais remboursé le moindre centime. Le secret professionnel m'interdit de citer leurs noms, mais vous pourriez le faire'
Robert Messi Messi: Je reconnais qu'à la suite de pressions diverses, j'ai accordé ce type de crédit à deux personnalités : le ministre Titus Edzoa et le général Benoît Asso'o Emane. Je m'en étais occupé personnellement. Je ne crois pas qu'il soit opportun d'en parler ! (NDLR : Robert Messi Messi ayant refusé d'en dire plus, nous avons mené notre enquête. Voir encadré.)
Célestin Monga : Aujourd'hui, on vous accuse officiellement de malversations sur le compte American Express pour plus de 3,258 milliards, et de déficits inexpliqués sur des comptes occultes pour 49 milliards, Cela fait plus de 52 milliards, soit près du tiers des recettes pétrolières de l'Etat en un an, et près de 15 % du budget total de recettes de l'Etat ! Pour un seul individu, c'est presque un record'
Robert Messi Messi: 49 milliards ' Je n'en reviens pas. D'où serait venue une telle somme d'argent à la SCB ' J'aimerais bien savoir. C'est une accusation fantaisiste ! J'ai l'impression que Biya veut vraiment me détruire Pour l'instant, je m'en tiens à ce qui semblait m'être reproché officiellement au moment où je quittais le Cameroun : la gestion du compte en devises American Express, pour lequel je vous ai déjà donné des explications.
Célestin Monga : Le chiffre de 49 milliards avancé par le ministre Garga Haman Adji ne traduit pas simplement les fantasmes de vos ennemis. Il doit bien y avoir des comptes numérotés que vous oubliez'
Robert Messi Messi: Si l'on excepte le compte en devises dont je m'occupais personnellement, on ne peut citer que les comptes en F CFA ouverts sur instructions de Jeanne Irène Biya en faveur de MM. Mva Albert et Azé'e Jérémie, intendant à la ferme du Sud, la plantation personnelle de M. et Mme Biya à M'vomeka. Les 49 milliards ne me disent absolument rien. Comment ont-ils fait leurs calculs '
Célestin Monga :Peut-être se sont-ils bases sur les évaluations effectuées par le liquidateur de la SCB'
Robert Messi Messi: Ce monsieur n'a jamais demandé à me rencontrer. Comment aurait-il pu connaître l'identité des titulaires des comptes confidentiels ' J'étais pourtant à sa disposition' 49 milliards ! Vous rendez-vous compte ' C'est presque le tiers du volume des crédits accordés par la SCB pendant les cinq années durant lesquelles je l'ai dirigée. Comment aurais-je pu détourner ces fonds'
Célestin Monga : L'alourdissement des soldes débiteurs des comptes confidentiels par le phénomène des agios est probablement une des explications. Avez-vous une idée précise de la situation de ces comptes au moment où vous quittiez la banque '
Robert Messi Messi: Oui : les débits cumulés étaient de l'ordre de 3,5 milliards. Daniel Potoundjou Taponzie, mon successeur à la SCB, m'avait même signé un document reconnaissant avoir repris la gestion de ses comptes avec des soldes débiteurs de ce montant. Il n'y a avait aucune équivoque.
CONFIDENTIALITE DES OPERATIONS EFFECTUEES PAR LE DIRECTEUR GENERAL DE LA DEFUNTE SCB POUR LE COMPTE DU CHEF DE L'ETAT ET DE MME JEANNE IRENE BIYA
Compte tenu de la personnalité même des clients concernés, la SCB se devait de prendre toutes dispositions propres à leur garantir la plus grande confidentialité dans le traitement de leurs opérations. Ces dispositions se présentaient comme suit :
A  PRÉLÈVEMENTS EN FRANCS CFA
Un traitement informatique spécial, reposant sur le système des comptes à numéros, assurait l'enregistrement et le suivi des prélèvements. Des comptes à numéros étaient ouverts, les uns pour les opérations initiées par M. Mva'a Albert Cherel, les autres pour celles effectuées par M. Azé'e Ngono Jérémie. Il s'agissait de comptes purement internes, ne comportant aucune indication permettant d'en identifier les bénéficiaires. L'identité des titulaires desdits comptes était connue seulement du directeur général et de la personne chargée d'en assurer la gestion au jour le jour. Le responsable de la comptabilité et celui de l'informatique étaient chargés d'en assurer l'enregistrement et le suivi comptable et informatique. Des relevés de comptes étaient régulièrement établis et remis en mains propres au client. Pour leurs prélèvements, les clients devaient impérativement s'adresser, soit au gestionnaire de ces comptes, soit au directeur général. Dans la pratique, ils s'adressaient au directeur général pour des montants importants, et au gestionnaire pour ceux qui l'étaient moins. Dans le cas de prélèvements très importants (au-delà de 250 millions de F CFA), un préavis de deux ou trois jours était nécessaire pour permettre au directeur général de vérifier la disponibilité des fonds à la caisse et de prendre toute disposition propre à assurer la confidentialité des opérations. Le jour du prélèvement, le client se présentait au bureau du directeur général, tirait un chèque sur son compte' pour le montant du prélèvement et remettait le chèque au directeur général qui y apposait sa signature précédée de la mention « accord ». .Le directeur général demandait ensuite au gestionnaire du compte de préparer les espèces en liaison avec le chef de caisse, puis de les amener chez le directeur général. Une fois dans le bureau du directeur général, le gestionnaire du compte remettait les espèces en mains propres au client. En contrepartie, le client lui remettait le chèque visé par le directeur général, chèque destiné à l'enregistrement de l'opération sur le plan comptable. Un relevé de l'opération était ultérieurement établi et remis en mains propres au client.
B  PRÉLÈVEMENTS EN FRANCS FRANÇAIS
Sur instruction de Mme Biya, le directeur général se rendait personnellement à Paris pour instruire American Express Bank France (agence de Paris) d'effectuer, par prélèvement sur le compte de la SCB ouvert sur ses livres, des virements en faveur de M. Cacoub pour les montants spécifiés par Mme Biya. Pour ce faire, le directeur général apposait sa signature sur les formulaires d'ordre de virement préalablement préparés par American Express Bank pour le montant des opérations. Par souci de confidentialité, un compte spécial avait été ouvert au nom de M. Cacoub sur les livres d'American Express Bank à Monaco. Les virements effectués en sa faveur devenaient, de ce fait, de simples écritures internes dans la comptabilité d'Américain Express Bank France.
C   OPÉRATIONS EN DEVISES (Franc belge) La contre-valeur en F CFA du remboursement par la SCB pour le compte de Mme Biya du crédit acheteur accordé par la Générale de Banque de Belgique avait été imputée sur le compte à numéros de M. Azé'e Jérémie, ce qui assurait ipso facto la con

Célestin Monga : Si je comprends bien, vous êtes tout blanc dans la faillite de la SCB. Avec le recul, quelle part de responsabilité attribuez-vous à M. et Mme Biya dans cette affaire, et laquelle vous reconnaissez-vous '
Robert Messi Messi: La crise économique a commencé à sévir au Cameroun en 1986. Les banques ont été touchées, comme tous les agents économiques. Connaissant subitement des problèmes de trésorerie, l'Etat a ponctionné ses dépôts dans les banques, mettant celles-ci dans une situation générale de trésorerie assez délicate. Du coup, tous les banquiers devaient se battre pour mobiliser l'épargne privée, et se refinancer au maximum auprès de la Banque centrale. J'ai fait de gros efforts dans ce sens. J'ai même négocié et signé des accords de refinancement avec des banques étrangères. Malheureusement, au même moment, Mme Biya ponctionnait dans nos caisses l'essentiel de ce que je gagnais en trésorerie. Ce que je considère comme mon principal tort dans la gestion de la SCB est d'avoir mise sur les PME camerounaises, et d'avoir soutenus des promoteurs à la mentalité douteuse.
Célestin Monga : Effectivement, vous aviez engagé un très ambitieux programme de financement des PME, pour lesquelles les textes en vigueur prévoient d'ailleurs que les banques doivent consacrer au moins 20 % de leurs crédits. Mais là encore, il semble que c'était plus un gadget publicitaire pour vous, qu'une vraie politique de soutien à l'économie. Vous faisiez un grand battage médiatique sur cette ouverture vers les PME, et pourtant, aucune de celles que vous avez financées n'a survécu. Y avait-il, à la base de vos décisions, une vraie analyse du risque '
Robert Messi Messi: Je comprends votre incrédulité. Et je reconnais n'avoir pas toujours eu la lucidité nécessaire dans la sélection des projets' En fait, sur le papier, les projets étaient généralement de « bons risques ». Mais c'est la mentalité collective des entrepreneurs camerounais qui bloquait le développement de ces sociétés. Je crois aussi avoir trop eu confiance en la collaboration que j'avais établie avec le Fogape (Fonds d'aide et de garantie aux petites et moyennes entreprises).Cet organisme avalisait les crédits que j'accordais aux PME, mais lorsque je mettais en jeu cette garantie, les fonds ne me parvenaient pas, car le Fogape avait aussi des problèmes de ressources.
Célestin Monga : Il y a également la mauvaise gestion des frais généraux de la SCB. Vous auriez eu tendance à confondre les caisses de la banque et votre propre trésorerie'
Robert Messi Messi: A titre personnel, j'étais titulaire d'une carte de crédit qui était adossée sur le compte SCB chez American Express'
Célestin Monga :Est-ce normal d'utiliser les frais généraux de son entreprise pour régler des achats personnels '
Robert Messi Messi: Il est courant en France, aux Etats-Unis et partout dans le monde qu'un manager utilise, par commodité, le compte de l'entreprise pour certaines petites dépenses. Ce qui permet d'éviter le transfert de devises et la procédure d'achat de chèques de voyage lors de chaque déplacement. ['] Mais, dès mon retour, mon compte personnel à la SCB était débité du surplus des dépenses non couvertes par les frais de mission auxquels j'avais droit. Je dispose de toutes les pièces comptables ayant servi à apurer ces comptes (voir fac-similé).
Célestin Monga : On peut vous reprocher le fait que les dépenses initiées par vous l'étaient sans aucun contrôle d'utilité ou de destination. Votre comptable n'avait pour ses régularisations que votre parole'
Robert Messi Messi: Il y a toujours eu des pièces justificatives des dépenses que j'engageais. C'est facilement vérifiable.
Célestin Monga : Il n'empêche que vous prêtiez le flanc à la critique. Il y a quelques années, Edouard Akame Mfoumou, alors directeur général de la Bicic, s'est vu offrir par le staff de la banque une table de ping-pong pour sa résidence ; ayant appris que cette table avait été payée sur les frais généraux de la banque, il s'est empressé de signer un chèque en faveur de la Bicic, histoire de ne pas se laisser enfermer dans l'engrenage de l'utilisation abusive des frais généraux de l'entreprise. Auriez-vous eu la même attitude si vous aviez été à sa place '
Robert Messi Messi: Non, je n'aurais pas réagi comme cela. Je crois que chacun peut apprécier le caractère raisonnable ou non de chaque dépense. Il ne faudrait pas non plus verser dans un formalisme puéril. Un DG n'a-t-il pas le droit de se faire offrir une table'
Célestin Monga : Alors que votre banque allait à la dérive, vous avez accepté en 1987 d'être désigné « banquier de l'année » par un journal sénégalais, et de recevoir l'« oscar des oscars » devant Paul Biya qui, lui, héritait d'un simple « oscar de la paix et du développement». A l'époque, d'aucuns ont pu souligner chez vous un accès de mégalomanie, qui n'a tenu aucun compte de la susceptibilité du chef de l'Etat, et qui est peut-être la plus grave faute politique que vous ayez commise'
Robert Messi Messi: C'était effectivement une erreur de ma part d'avoir accepté ces distinctions' Cela se faisait dans d'autre pays, sans soulever de ' 'vagues: -fns-car dWTRîears'-Wuïoîi3'nait une personnalité du monde des affaires ou de la banque,'excessivement. Le chef de l'Etat n'avait donc pas à en être jaloux. Avant moi, il y avait eu l'Ivoirien Konan Lambert de la Société d'énergie électrique, et le Zaïrois Bemba Sao-lona. Leurs chefs d'Etat n'en avaient pas pris ombrage. Chez nous, cette distinction a déchaîné les passions ! Le jour où cette distinction devait m'être accordée, ma photo a été publiée à la une de Cameroun Tribune. Paul Tessa, le directeur de ce journal à l'époque, a été convoqué à la présidence où on lui a passé un savon. Et bien des ministres invités à la cérémonie ne s'y sont pas rendus, car ils craignaient de subir les foudres présidentielles' Après cet événement, j'ai senti une rupture avec le chef de l'Etat.
Célestin Monga :C'était un peu cher payé, votre oscar !'
Robert Messi Messi: Je n' ai pas versé en-échange -de cette distinction. Il se trouve seulement que j'avais accepté, par courtoisie, de prendre en charge l'organisation matérielle de la cérémonie à Yaoundé.

Messi Messi: M. et Mme Bjya savent que je peux utiliser de nombreuses autres cartes. Je n'ai pas encore dévoilé toutes les informations dont je dispose, y compris sur le plan international. S'ils continuent de m'attaquer, je suis dis­posé à me défendre. J'en ai les moyens. Je vais vous citer quelques crédits de complaisance mis en place par la SCB pour Paul Biya et Madame. Je pourrais en citer d'autres. Aucun de ces « prêts » n'a connu un début de remboursement".
Ses relations avec Mme Biya
Célestin Monga : Aviez-vous des relations particulières avec Madame Biya avant votre nomination '
Robert Messi Messi : Aucune. Un jour, en mars 1986, elle me convoque à la présidence, et me dit : « Le Président veut que vous lui accordiez un crédit. » C'est tout.
Célestin Monga : Vous auriez pu refuser, quitte à claquer la porte.
Robert Messi Messi: Ce sont des choses que vous ne pouvez pas refuser. Sinon, vous aurez les pires ennuis. A moins de choisir de mettre une croix sur sa carrière.
Célestin Monga : Combien de fois Paul Biya vous a-t-il reçu '
Robert Messi Messi: Il ne m'a jamais reçu dans le cadre de mes fonctions. La situation de la SCB, en tant qu'en entité publique, ne l'a jamais intéressé. Je le rencontrais au palais lorsque son épouse me convoquait.
Célestin Monga : A l'exception des virements effectués à Paris pour le compte de la famille Biya, vous ne vous rappelez d'aucun dérapage de trésorerie susceptible d'être imputé à votre gestion '
Robert Messi Messi: Il y a également les prélèvements en F CFA effectués aux guichets de la banque toujours sur instructions de Jeanne Irène Biya, et qui constituaient en réalité le gros des décaissements. Je peux citer un virement en faveur de maître Etienne-Gérard Kack Kack, notaire à Yaoundé, pour l'achat d'un terrain pour Mme Biya, de quelque 400 millions de F CFA. Il y a eu aussi le financement de la construction d'un immeuble d'habitation de haut standing au quartier Ekoudou à Yaoundé qui lui appartient. Cet achat nous a coûté des centaines de millions. Je peux aussi citer la prise en charge par ma banque des fastueuses cérémonies organisées à l'occasion du décès du frère aîné du président Biya. Nous avons tout payé, y compris la pierre tombale et le caveau de marbre à M'vomeka. La famille avait prélevé plus de 200 millions de F CFA ! Le financement des dépenses locales liées à la construction des logements de la Garde présidentielle à M'vomeka, ainsi que des résidences de luxe pour les personnalités invitées par le Président à la campagne. La prise en charge de tous les investissements locaux et frais de fonctionnement de la ferme du Sud et des plantations de M'vomeka. Le retrait de plusieurs dizaines de millions pour le compte de Mme Owona Ndi, la  tante de Mme Biya. A cela, il faut ajouter divers autres retraits importants, échelonnés dans le temps, et dont la destination ne m'était même pas indiquée lors du prélèvement. Au moment où je quittais la SCB, le solde débiteur cumulé des différents comptes au nom de Mva Albert était de 3.551.149.501 F CFA. Pour Azé'e Jérémie, il m'est difficile de donner un montant aussi précis, car nous agissions au coup par coup. Un jour, il venait nous demander d'équiper la ferme présidentielle pour l'élevage des poulets ; je sautais dans un avion pour Bruxelles où je négociais un crédit acheteur avec des banquiers belges, crédit contre-garanti par la SCB. Mme Biya ne remboursait pas, et c'était à nous de casquer' D'autres fois, le sieur Azé'e venait effectuer des prélèvements dans nos caisses pour les dépenses courantes de fonctionnement de la ferme.
Célestin Monga : A quel montant aviez-vous prévu de plafonner les décaissements de M. Azé'e'
Robert Messi Messi: Aucun plafond aux décaissements n'était demandé à quelqu'un à qui Mme Biya avait donné une procuration (légalisée) en bonne et due forme pour agir en son nom à nos guichets (voir fac-similé). Je suis donc incapable de vous dire de manière précise combien les opérations effectuées sous la signature de M. Azé'e ont coûté à la SCB. Tout ce que je peux dire avec certitude, c'est que le solde cumulé de ses débits en compte se montait à plusieurs milliards de F CFA au moment de mon départ.
Célestin Monga : Je constate que les opérations dont vous parlez concernent essentiellement des investissements. Mme Biya a peut-être une circonstance atténuante du fait qu'elle utilisait cet argent pour développer un village et une région sinistrés'
Robert Messi Messi: Détrompez-vous ! Je ne vous ai pas parlé des crédits accordés par ma banque à des membres de sa fa­mille par pur népotisme, ou des employés, tous originaires d'Akonolinga, qu'elle m'obligeait à recruter alors qu'ils n'en valaient pas la peine ! Je vais vous citer quelques crédits de complaisance mis en place par la SCB : le financement de la construction de deux villas de standing à Yaoundé, pour le compte de Marie Mengue, la s'ur cadette de Paul Biya. Cela a coûté à peu près 70 millions de F CFA ; le financement de la construction d'une autre villa à Yaoundé pour une autre s'ur de Mme Biya, Mme Ndame Marguerite. Je pourrais en citer d'autres. Aucun de ces « prêts » n'a connu un début de remboursement. Les comptes étaient gelés après les décaissements. C'est  de l' hypocisie  de la part de Paul Biya. que de m'accuser d'avoir mis la SCB en faillite.
Célestin Monga : Sachant que vous déteniez des documents susceptibles de le compromettre, pourquoi Paul Biya n'a-t-il pas d'abord essayé de négocier avec vous ' Comment se fait-il que son premier réflexe, après vous avoir limogé de la SCB, ait été de vous envoyer Jean Fochivé, qui n'est pas son gestionnaire de patrimoine ' Et pourquoi n 'avez-vous pas essayé de régler les choses à l'amiable avec lui '
Robert Messi Messi: J'ai fait tout ce que je pouvais pour porter l'affaire à sa connaissance. Sans succès. Je lui ai écrit à Genève, un mois après mon départ du Cameroun. Il ne m'a pas répondu. Je lui ai adressé deux autres lettres de Montréal, le 17 janvier et le 20 juillet 1990. Il n'en a même pas accusé réception.
Célestin Monga :Des rumeurs insistantes ont circulé au Cameroun vers la mi-1990, vous prêtant l'intention de vouloir déstabiliser le régime de Biya, voire de financer la préparation d'un coup d'Etat militaire qu'organiserait le général Asso'o. Ces rumeurs vous étaient-elles parvenues '
Robert Messi Messi: Evidemment. C'était d'ailleurs l'objet de ma deuxième lettre à Paul Biya (voir fac-similé p. 124), envoyée par DHL sous le couvert de Mva Albert. Ces rumeurs n'avaient aucun fondement. Affolé, le général Asso'o m'avait téléphoné pour me demander si vraiment j'avais l'intention de publier des documents contre le Président.
Célestin Monga :Puis il y a eu cette affaire de passeport non renouvelé'
Robert Messi Messi: Oui. C'était au début de juillet 1990. Je me suis rendu à l'ambassade du Cameroun à Ottawa pour solliciter le renouvellement de mon passeport, qui arrivait à expiration le 1er septembre 1990. L'ambassadeur m'a dit qu'il allait demander l'autorisation de son ministre à Yaoundé. La réponse n'est jamais venue. J'ai écrit à Paul Biya une troisième fois. Sans succès. C'est à partir de cet instant que j'ai commencé à m'interroger sur les intentions du chef de l'Etat à mon égard. Je persistais à croire qu'il se contenterait d'ordonner une enquête discrète au sein de son équipe pour trouver l'origine des rumeurs dont j'étais l'objet.
Célestin Monga : On peut se demander pourquoi Mme Biya, qui ne vous connaissait pas avant votre nomination à la SCB, s'est adressée à vous pour le financement de ses affaires, et pas aux autres directeurs de banque '
Robert Messi Messi: Je ne sais pas. Je crois que cela est dû au fait que nous étions la seule grande banque dont la direction était installée à Yaoundé. Et puis, par rapport aux autres, la SCB était en ce moment-là dans une situation de trésorerie moins dramatique.
Ils savent où me joindre'
Célestin Monga : Le communiqué de presse du ministre de la Fonction publique ne se contente pas de vous accuser de détournement de fonds publics. Il stipule également que vous êtes «frappé de déchéance» et qu 'il vous est interdit d'être responsable à quelque titre que ce soit, pendant un délai de dix ans, de l'administration et de la gestion des services et entreprises d'Etat. Toujours selon le communiqué, Le gouvernement demande au ministre de la Justice d'engager des poursuites contre vous. Un mandat d'arrêt international va peut-être être lancé contre vous, et vous risquez d'être extradé. Ce n'est pas une perspective très réjouissante pour votre famille. Que comptez-vous faire maintenant '
Robert Messi Messi : Si la justice est saisie, je prendrai un avocat. Toutes les accusations dont vous parlez ne m'ont pas encore été notifiées. Je ne peux pas encore répondre.
Célestin Monga : Savent-ils seulement où vous joindre '
Robert Messi Messi: Bien sûr. Tous ces gens-là ont mes coordonnées. Je ne me cache pas. Tous ont mon numéro de téléphone. Robert Motaze, Andze Tsoungui, le général Asso'o' Ils peuvent me contacter à n'importe quel moment.
Célestin Monga :Beaucoup de personnes vous considèrent, au Cameroun, comme un vulgaire bandit dont la place est derrière les barreaux. Quel effet cela vous fait-il '
Robert Messi Messi: Des rumeurs qui m'étaient préjudiciables ont circulé dans le pays. N'étant pas sur place, je n'avais pas la possibilité de m'expliquer sur les faits qui m'étaient reprochés. Et puis, si je m'étais justifié, j'aurais porté atteinte à la crédibilité du chef de l'Etat. J'espère que les gens qui véhiculent ces rumeurs comprendront que J'ai été la victime dans toute cette affaire.
Célestin Monga : Pourquoi avoir décidé de parler maintenant ' Est-ce parce que Paul Biya se lance en campagne électorale en montrant par votre exemple qu'il pourchasse les responsables de détournements de fonds publics '
Robert Messi Messi: Quand j'ai quitté le Cameroun, j'ai promis de me taire. J'aurais pu prendre les devants et attaquer toute la classe dirigeante actuelle. J'ai choisi de demeurer silencieux et de ne pas nuire aux autres. Cela, à condition que l'on ne m'attaque pas. Aujourd'hui, je m'aperçois que l'on voudrait utiliser mon silence pour me nuire. Tout ce que je peux dire, c'est que je me défendrai.
Célestin Monga : Si un mandat international est lancé contre vous dans les semaines à venir, que ferez-vous '
Robert Messi Messi: M. et Mme Bjya savent que je peux utiliser de nombreuses autres cartes. Je n'ai pas encore dévoilé toutes les informations dont je dispose, y compris sur le plan international. S'ils continuent de m'attaquer, je suis disposé à me défendre. J'en ai les moyens.
Célestin Monga :Ne seriez-vous pas simplement aigri d'être au chômage, et de vivre en exil ' Si Paul Biya vous promettait de passer l'éponge, et vous proposait le ministère des Finances, je suis persuadé que vous l'accepteriez'
Robert Messi Messi: Pas du tout. J'ai besoin d'avoir confiance en la personne pour laquelle je travaille. Ca ne peut plus être le cas avec l'actuel chef de l'Etat.
Célestin Monga : Quelles sont vos ambitions aujourd'hui '
Robert Messi Messi: J'attends du peuple camerounais qu'à la lumière de toutes les explications que je donne ici, mon honorabilité ne fasse plus de doute. J'attends que l'on juge d'une part le comportement que j'ai eu vis-à-vis de M. et Mme Biya et, d'autre part, la manière dont eux se sont comportés à mon égard. Et que l'on désigne qui, dans cette affaire, a gardé sa dignité et sa sérénité. En tant que banquier soumis au devoir de réserve, je n'avais pas à divulguer des opérations initiées par des clients, fussent-ils Jeanne Irène et Paul Biya. Mais comme on essaie de m'imputer des opérations dont je ne suis pas le commanditaire, je crois devoir m'expliquer. C'est tout. J'espère qu'un jour la possibilité me sera donnée de retourner au Cameroun, et peut-être de servir mon pays.
A suivre !
Notes de la rédaction :
1- C'est le 9 Mai 2006 que Robert Messi Messi accordait un entretien fleuve à Célestin Monga et à Blaise Pascal Talla, interview publiée dans les colonnes de Jeune Afrique Economie. C'est cette entrevue qui a largement inspiré le présent article.
2- Jeanne-Irène et Paul Biya s'étaient mariés le 2 septembre 1961 en France. Jeanne-Irène Biya fut la Première dame du Cameroun entre 1982 et 1992. Née en 1935 dans la localité de Monengombo, Jeanne-Irène Biya décède à Yaoundé le 29 juillet 1992 à l'âge de 55 ans. Devenu veuf, Paul Biya s'est remarié en 1994 avec Chantal Vigouroux, l'actuelle Première dame du pays.

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