Marafa

Marafa
Le prisonnier légendaire du SED.

vendredi 21 septembre 2012

UN MAGISTRAT FACE À SA CONSCIENCE


GILBERT SCHLICK, UN MAGISTRAT FACE À SA CONSCIENCE
Le président du tribunal de grande instance du Mfoundi subit des pressions. Mais il semble uniquement guidé par son indépendance dans le verdict attendu aujourd'hui.
Pour le pouvoir, M. Gilbert Schlick se révèle finalement comme la plus difficile parmi les mille inconnues d’une équation nommée BBJ-II. En tout cas, de la chancellerie à la présidence de la République, l’on s’est converti à l’idée que ce magistrat, issu de la promotion 1987 de l’Enam, a tout d’un pilote capable de mener imperturbablement son équipage en dépit de la menace des vents contraires. Et l’image est à peine exagérée.
Tant depuis l’ouverture de la procédure judiciaire de l’affaire liée à l’acquisition d’un avion présidentiel, le volet concernant MM. Marafa Hamidou Yaya et Yves Michel Fotso a été rigoureusement encadré de bout en bout : projet de réquisitoire définitif du procureur de la République soumis au préalable à la validation du garde des Sceaux, comptes rendus des audiences au chef de l’Etat, feu-vert de la hiérarchie aux représentant du ministère public pour étendre leurs réquisitions au-delà du cadre défini par l’ordonnance de renvoi, etc. Rien ne semble avoir été abandonné au libre arbitre des magistrats.
Voici qu’au moment du verdict, s’inquiète la chancellerie, M. Schlick donne l’impression de vouloir réduire à néant tous ces efforts en se montrant insaisissable. Ce soupçon se nourrit non seulement de son passé de magistrat incorruptible, mais surtout épris de liberté. Qui, au moment de statuer sur la sentence dans l’affaire du BBJ-II, loin de toute influence extérieure, s’appuiera uniquement sur la pertinence de l’accusation et la force probante des preuves.
Ceux qui ont assisté de bout en bout au procès peuvent, d’ores et déjà,  faire un pronostic sur l’issue du procès. Il leur suffit de mettre sur la balance, d’un côté les réquisitions d’un ministère public clamant que M. Marafa Hamidou Yaya alors secrétaire général de la présidence de la République a hérité de la mission de conduire le processus d’acquisition d’un avion présidentiel et «sans raison valable a associé son ami Yves Michel Fotso, recouru à un intermédiaire nommé GIA International dans lequel les deux accusés ont des intérêts, au lieu de prendre attache directement avec la firme Boeing, ordonné le virement de 29 millions de dollars juste pour aider son ami à acquérir deux Boeing qu’il viendra ensuite louer à la Camair… ».
Et de l’autre côté les plaidoiries de la défense qui oppose le témoignage de l’ancien ministre des Finances Michel Meva’a m’Eboutou qui avoue devant le tribunal avoir seul décidé d’utiliser «la Camair comme mot de passe pour dissimuler la transaction aux institutions de Bretton Woods et de virer 29 millions de dollars à GIA», le réquisitoire définitif du procureur de la République attestant que le BBJ-II était prêt pour la livraison en octobre 2002, l’accord de 2006 aux Etats-Unis par lequel l’Etat a reçu 52 % de la liquidation de GIA correspondant à un Boeing 767 et 800.000 dollars, le rapport de la Bank of America qui déni tout lien entre M. Fotso et Gia, etc.
La confrontation des arguments fait perdre le sommeil tant à la chancellerie qu’au palais de l’Unité. C’est ainsi que, susurre une source fiable, il y a juste quelques jours,  un très proche collaborateur du chef de l’Etat, n’agissant pas forcément de son propre chef, a demandé au président de la collégialité chargée de juger MM. Marafa et Fotso et consorts de lui livrer en primeur ses impressions sur ce dossier. Une manière bien subtile de sonder la décision qu’il doit rendre ce jour. D’après des indiscrétions, le juge jusqu’au moment où nous allions sous presse n’avait pas toujours donné suite à cette exigence.
Une posture en porte-à-faux avec l’opinion de sa hiérarchie qui considère ce magistrat de 4è grade comme un homme sans véritable poigne.  M. Schlick doit cette appréciation à  son peu d’empressement à traduire en acte la volonté hiérarchique de mettre les magistrats de sa juridiction au pas. C’est oublier un peu que le président du tribunal de grande instance du Mfoundi,  jaloux de son indépendance, n’est pas supérieur à s’immiscer dans les dossiers instruits par ses collaborateurs.
Un mauvais augure donc. D’ailleurs, dans les annales de l’opération Epervier, M. Gilbert Schlick a déjà provoqué une jurisprudence. Dans la nuit du 3 mai 2012, il prend plus d’une personne de court en acquittant M. Jean Marie Atangana Mebara, ancien SG/PR poursuivi pour tentative de détournement de 29 millions de dollars destinés à l’achat du BBJ-II pour faits non établis. «Je ne disposais pas d’éléments pouvant me décider à le condamner. J’ai pris un acte en accord avec ma conscience», rapporte son entourage qui souffle que cette nuit-là, il s’est fait accompagner chez lui dans un taxi en compagnie d’un ami. Dès le lendemain, il mesure mieux la portée de sa décision.
Face aux manœuvres annonciatrices de représailles, celui qui est aussi médiateur au Centre permanent d’arbitrage et de médiation du Cadev reste imperturbable et menace au contraire de quitter la magistrature pour aller faire valoir son indépendance sous d’autres cieux. Surtout que, témoignent acteurs judiciaires et justiciables, ce bel homme, la cinquantaine alerte, métis et à l’âme sans doute blanche aussi, est attaché aux valeurs telles l’équité. Si bien qu’au moment où il quitte ses fonctions à Douala pour Yaoundé, sa réputation le précède déjà.
Sans doute M. Schlick n’est pas une exception dans le corps des magistrats, peuplé d’hommes et femmes plus soucieux de leur carrière et oublieux que ce cri de cœur de M. Alexis Dipanda Mouellé, premier président de la Cour suprême,  qui n’a de cesse de rappeler aux magistrats qu’à travers leurs décisions «se jouent la considération, la dignité, l’honneur, le patrimoine, la liberté, voire la vie de leurs semblables». Mais il fait partie de cette race rare d’hommes ayant embrassé la magistrature par vocation et que «la justice est « une valeur suprême qu’ils entendent défendre en leur âme et conscience». Un hommage non usurpé.

Par Dominique Mbassi
Repères N°290 du 19/09/2012

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