De nationalité française, je
suis devenu Africain de cœur grâce aux liens que j’ai pu tisser des décennies
durant avec des camarades aussi bien à l’université qu’au sein de nombreuses
associations. Passionné par le développement de ce magnifique continent, j’y ai
effectué de nombreux voyages qui ont contribué à faire de moi un citoyen du
monde. Les séjours tant privés que professionnels m’ont révélé l’énorme
potentiel dont regorge le continent malheureusement confronté à de nombreuses
déviances, notamment sur le plan de la gouvernance. Personne ne taxera donc le
fils adoptif du berceau de l’Humanité, que je suis, de donneur de leçons car
porté par des valeurs que je partage avec mes frères, amis et pairs africains.
Dans le cadre de la Communauté des amis Juristes de l’Afrique, j’ai eu à
effectuer de nombreuses missions de terrain qui m’ont conforté dans l’idée que
la mutualisation des recherches en sciences juridiques est de nature à
favoriser la globalisation du droit et à faire avancer l’Etat de droit. La leçon
forte à retenir de l’approche de cette association, au travers de nombreux cas
d’école, demeure qu’il faut absolument redonner à la Justice sa place
véritable, comme pouvoir devant jouer un rôle prépondérant dans le
développement et la sauvegarde de la démocratie. Dans la plupart des pays
d’expression anglaise d’Afrique subsaharienne, à l’exception notable du
Zimbabwe, et dans beaucoup de pays de l’Afrique de l’Ouest, la volonté
politique à aller vers les standards est manifeste. Mais il n’en va malheureusement
pas de même pour l’Afrique centrale dont la locomotive naturelle, le Cameroun,
est un cas d’école avec une justice aux ordres, laxiste et corrompue.
En s’exprimant en
toute et pleine indépendance, la justice reste le rempart sur lequel viennent
se briser les velléités de manipulation et d’abus en tous genres des tenants du
pouvoir exécutif, surtout dans les pays où la représentativité civile et
citoyenne reste embryonnaire. Qui mieux que les magistrats doit garantir le
fonctionnement optimal de la machine judiciaire pour calmer les pressions et
garantir l’équité ? Et c’est là que le constat amer est fait qu’il y a encore
un réel déficit dans la dimension éthique du pouvoir judiciaire dans certains
pays en développement d’Afrique. Le cas Cameroun, à travers ce qui a été
baptisé « Opération Epervier », est celui qui retient actuellement l’attention
de la communauté des juristes africains (anglophones et francophones compris)
et d’ailleurs, tant les magistrats sortent de leur rôle, abandonnant leurs prérogatives
au pouvoir exécutif qui a réussi dans ce pays à s’emparer des temples que sont
les palais de justice.
Alors que ce pays
s’est doté d’un code de procédure pénale, certes perfectible, mais s’ouvrant
sur des avancées relatives (i) aux libertés individuelles empruntées au système
pénal anglo-saxon déjà appliqué dans la partie méridionale du Cameroun, (ii)
aux garanties de représentativité devant la justice ou l’habeas corpus …. Sauf
qu’il est en permanence violé par les magistrats eux-mêmes qui démontrent ainsi
à la face du monde que l’exécutif est le seul maître du jeu. Si on peut penser
que les magistrats qui redoutent la présence subtile du pouvoir exécutif dans
le processus de leur avancement observent quelque prudence dans le traitement
de dossiers dits sensibles, rien ne justifie leur apathie ou leur renoncement
devant ce qui semble évident, à croire que la satisfaction de certains besoins
personnels et égoïstes (sur le plan matériel) demeure la seule vraie
motivation. Pour l’illustrer, le cas du juge Magnaguemabe va sûrement être cité
dans les annales du droit, non pas qu’il ait innové dans l’art d’instruire
exclusivement à charge, mais surtout parce qu’il ne s’embarrasse guère de (i)
collusion – la concussion n’est pas loin – en troquant des décisions de justice
contre un bien matériel (affaire succession Tchuisseu), encore moins de (ii)
trafic d’influence lorsqu’il offre de se faire soudoyer par un membre du
gouvernement, le ministre d’Etat Marafa Hamidou Yaya en l’occurrence, dans une
affaire dont il a la charge de l’instruction, et dans laquelle ce ministre
serait cité.
Au-delà de tout ce
qui précède, le toilettage qui s’impose au système camerounais viendrait mettre
un terme à la proximité insidieuse et sournoise qui plombe le bon fonctionnement
de la machine : comment peut-on valablement imaginer que le président de la
République, président du Conseil Supérieur de la Magistrature et son Conseiller
spécial, secrétaire dudit Conseil, régulièrement cités dans ces affaires decorruption et de détournement (disparition de Quarante milliards cinq centmillions - 40.500.000.000 - F.cfa versés par la South African Airways (Saa) etle Cabinet Consulting Advanced Technics Trust (A.t.t.) pour solde de toutcompte à la Camair et l’Etat du Cameroun) puissent faire l’objet d’unequelconque convocation, même à titre de témoins, dans l’état actuel des choses.
Mais cerise sur la gâteau, cette véritable manne qui vint arroser la Cour
suprême lors de la dernière élection présidentielle d’octobre 2011 : la somme
d’un milliard cent cinquante-cinq millions (1 155 000 000) Fcfa versée dans le
cadre des opérations normales de recensement des votes et de proclamation des
résultats pourtant déjà inscrites au budget de l’Etat. Cette pratique contre
laquelle une lutte acharnée semble être menée porte un nom mais s’exécute avec
la complicité et le libre consentement de ceux qui doivent sanctionner de
telles dérives.
Là où des hommes et
des femmes exigeants doivent veiller à la bonne exécution des procédures du
droit dans les relations des individus entre eux et avec la puissance publique,
quelque soient les rapports de force, les magistrats camerounais dans cette
opération restreignent la liberté pour les citoyens de faire valoir leurs
droits et de contester les actes illégaux, toutes choses qui ne favorisent pas
un système judiciaire équitable, efficace et accessible. Le juge camerounais ne
présente pas cette exigence essentielle qu’il doit pouvoir imposer aux pouvoirs
exécutif et législatif. Alors qu’on attend de lui qu’il revendique en
permanence sa neutralité et son impartialité pour que l’Etat démocratique
prospère et égalitaire s’impose à tous afin de créer un environnement
juridique, institutionnel et culturel de qualité propice à l’éclosion des
libertés individuelles et au renforcement des droits de l’homme tel que cela se
passe dans les pays africains semblables au Cameroun et même de niveau de
développement inférieur. Car le juge en démocratie, pour pouvoir mériter de la
nation, doit arborer comme sa toge les principes relationnels d’exigence et de
devoir : exigence à l’égard de la démocratie et devoir envers l’idéal
démocratique.
Le sacerdoce qui
est le sien le condamne dans la conception de la justice comme pilier de la
confiance dans la société pour garantir aux citoyens que leur cause sera
entendue par un juge au service du droit et non de l’autorité qui l’a nommé et
le rémunère. Pour que les citoyens n’aient plus ce sentiment partagé selon
lequel le système des lois qui règle les droits et les devoirs des personnes
n’est pas appliqué, qu’ils puissent plutôt observer que le règne de la loi
n’est pas la loi du juge, mais celle de la nation. L’Etat doit fournir aux
sujets de droit, un service public performant dans le domaine le plus important
de vie en société, fondement de l’Etat de droit, la justice. Lorsque
s’amoncellent les signes du déclin, on peut mesurer la capacité d’un Etat à
pouvoir rebondir à l’attention qu’on accorde malgré tout aux piliers de la
confiance… Et la Justice, en tant que pouvoir, est un de ceux-là, comme on a pu
le remarquer.
L’heure est
peut-être venue au Cameroun pour tous les magistrats et tous les acteurs du
droit d’inscrire leurs noms au fronton de la République, en abordant les
différentes affaires sous l’angle strict du droit qui ne s’accommode pas
d’arbitraire car il vient toujours un temps où on fait le bilan et on établit
les responsabilités devant l’Histoire. Ils doivent dénoncer les pressions et
les instructions de ce qu’on appelle au Cameroun, la très haute hiérarchie. Car
à bien y regarder, une affaire comme celle en cours de l’acquisition d’un
aéronef présidentiel, est des plus simples. Un ministre des Finances donne des
instructions à une entreprise de décaisser de l’argent, contre des ordres
officiels acceptés par toutes les parties au procès, et ce même ministre
procède au virement de la somme décaissée…. Mais ce ministre est en liberté
avec le risque d’évaporation constaté au Cameroun dans d’autres affaires
récentes !
Il est temps que le
magistrat camerounais fasse son autocritique et opère sa mue, car avec la
mondialisation les instances de jugement se sont multipliées et il sera
peut-être hasardeux de dire qu’on ne savait pas. Le magistrat camerounais a
l’obligation de sortir son pays du piège des basses manœuvres et le devoir de
mettre le pouvoir exécutif face à ses responsabilités. Le monde entier a le
regard rivé sur les magistrats du Cameroun qui, dans ces différentes affaires,
jouent leur image et leur crédibilité. Certains les ont précédés dans l’honneur
sur le continent tout comme au Cameroun. D’autres ont usé de forfaiture pensant
que l’histoire ne retiendrait pas cela. Le choix est un appel de la conscience.
La balle est dans le camp des magistrats camerounais.
*jcferrand(c)yahoo.fr
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