Marafa Hamidou Yaya, la longue marche vers l’enfer
L’ancien Secrétaire
général de la présidence de la République du Cameroun a été reconnu coupable de
détournement de deniers publics. De l’argent qui était destiné à l’achat d’un
avion présidentiel en 2001. Il sera libre en 2037, si le verdict venait à rester
là. Marafa Hamidou Yaya aura alors quelques 85 ans. Un rêve politique brisé,
des instants affectifs volés, une image à redorer auprès de certains… L’homme
aura perdu des forces. Et cette superbe qui l’anime ne sera plus qu’un lointain
souvenir.
Vêtu d’une gandoura
blanche immaculée, l’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la
Décentralisation (Minadt) quitte le tribunal de grande instance du Mfoundi à
Yaoundé le 22 septembre 2012 sous forte escorte.
Il est 7 h 15. Des
membres de sa famille le voient retourner en prison. Le regard vide, ils ne
comprennent pas ce qui vient d’arriver à leur parent. Habillé d’un grand boubou
bleu sur lequel traîne une écharpe noire, le frère aîné de sa femme qui lui
tenait compagnie quelques minutes plus tôt est stupéfait. Il ne digère pas ce
qui se passe. Esquivant des regards inquisiteurs, il s’engouffre dans son
véhicule et s’éloigne rapidement de ce lieu cauchemardesque. Dans la cour du
Tribunal, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes n’arrêtent pas de
s’étonner : « Donc, c’est vrai ? » « C’est vrai
ça ? » « C’est Marafa comme ça ? » « C’est fini
pour lui comme ça ? » Ses avocats sont perplexes. Me Monthe est déçu.
Son téléphone ne cesse de crépiter. Au bout de la ligne, des personnes qui
veulent connaître la sentence de son client. Avec élégance, l’avocat renvoie
les journalistes avides de déclarations.
Dans la salle
d’audience, les « témoins » au procès trainent encore. La main posée
à la joue, certains devisent à voix basse, l’air abattu. D’autres esquissent un
sourire de soulagement. Ce sont certainement ceux qui attendaient cette
condamnation. D’autres encore ont les yeux rivés sur le collège des juges.
Lesquels juges se débarrassent maintenant de leurs robes. Les greffiers
emportent les dossiers dans leurs bureaux. Gilbert Schlick, le président de la
collégialité, qui a prononcé la sentence, peut alors se retirer. La nuit a été
longue et sans répit.
Gilbert Schlick
C’est la veille, aux environs de 14 heures que le procès qui oppose Marafa
Hamidou Yaya, Yves-Michel Fotso et Cie, à l’État du Cameroun est amorcé. Dès
son entrée en salle, l’ex-Minadt est accueilli par ses proches. Il échange
longuement avec une amie européenne aux cheveux châtains et se tourne vers Me
Alice Nkom. Puis, arrive le collège des juges. On aperçoit le trio avec au
centre, le magistrat Gilbert Schlick qui conduit les échanges depuis plusieurs
mois. La présentation des accusés est brève. Marafa, Fotso, Kounda se
présentent au banc des accusés. Les inconditionnels Assene Nkou, Chapuis et
Sandjong sont absents. La salle se lève pour entendre le début des
réquisitions. Près de cinq minutes plus tard, chacun reprend sa place. Le juge
Schlick poursuit alors la lecture. Il fait une sorte de rappel de tout ce qui a
été déclaré au cours des audiences antérieures par les accusés, l’accusation et
les témoins.
Le juge souligne qu’il a été établi que Marafa Hamidou Yaya et Yves-Michel
Fotso se sont liés d’amitié depuis 1993. Que cette amitié qui s’apparente
plutôt à une complicité s’est renforcée au fil des ans et que c’est grâce à
Marafa que Fotso arrive à la Camair. Qu’avant de convoquer la réunion en 2001 à
la présidence de la République pour l’achat d’un avion présidentiel, les deux
hommes avaient déjà signé un contrat avec Gia international, une société qui ne
devait sa survie que grâce à l’argent détourné par son initiateur Fotso. Que
tous deux détiennent des sociétés virtuelles dont certaines sont basées aux
Iles-vierges britanniques dans lesquelles a été viré l’argent détourné. Que le
BBJet-II n’a pas été livré par Boeing pour faute de paiement, Yves-Michel Fotso
n’ayant versé que 4 millions de dollars. Que même s’il n’a pas participé
directement au détournement, Marafa était au courant des manigances de Fotso.
Que le plan des deux amis était savamment orchestré.
La prison à vie !
À 3 h 11 mn, le juge Schlick revient sur les six exceptions
soulevées par les avocats des accusés. Lesquelles aboutissent à une fin de
non-recevoir. Puis les avocats de l’État du Cameroun, notamment Me Ngono et Me
Epassi, reviennent à la charge. Le premier, au nom de tous les avocats du
Cameroun, demande à ce que soit payés par les accusés, une somme de plus de 45
milliards de Fcfa pour préjudices alors que le second, au nom de la Camair,
réclame quelques 50 milliards de Fcfa. Les responsabilités financières
établies, le ministère public demande alors que soit appliqué
l’article 184 du Code pénal qui prévoit « l’emprisonnement à vie »
pour des détournements qui excèdent 500 000 Fcfa.
La salle retient son souffle. Le président du tribunal après avoir écouté
toutes les parties, se retire. L’audience reprend au petit matin. La sentence
finale est prononcée : Marafa et Fotso écopent de 25 ans de prison ferme.
Les coaccusés Kounda 10 ans et Sandjong 15 ans. Un mandat d’arrêt international
est lancé contre Assene Nkou, en cavale. Une somme de 21 milliards est à
déposer par les détenus à titre de dommages et intérêts tandis que 1
milliard cent trente millions cent cinquante-huit mille cinq cent trente
Fcfa représente la somme à payer au tribunal. Les condamnés ont
jusqu’au 25 septembre prochain pour faire appel.
Ce que les avocats de l’État du Cameroun réclament à Marafa et Fotso :
- 29 millions de dollars. En appliquant le taux de change du dollar
en Fcfa, à l’époque des faits, il oscillait entre 750 et 780 Fcfa. Des
deux taux, nous prenons le moins. Ainsi, la conversion donne un total de 21
milliards 750 millions Fcfa.
- Le taux d’intérêt applicable en Afrique centrale qui est de 6 %.
Donc 29 millions de dollars fois 6 % fois 11, soit 11 milliards 484
millions Fcfa.
- Pour défaut de livraison du BBJ-II que nous évaluons à 12 milliards 180
millions Fcfa, car le Cameroun continue de louer les avions pour les
déplacements du chef de l’État
- Soit un total de 45 milliards de Fcfa.
- Que le tribunal déclare qu’il condamne les accusés au profit de l’État du
Cameroun.
- En ce qui concerne la Camair, le préjudice découlant du fait de la
dépossession de deux avions de la Camair
- La surfacturation : Les prix de location ont été multipliés par deux
voire trois, soit 14 millions de dollars pour le Boeing 767-200 et 5 millions
de dollars pour le Boeing 747-300, pour un total de 19 millions de dollars.
- Le non-remboursement des « déposits » d’une valeur
de 6 millions de dollars.
- L’intervention volontaire de la Camair qui a occasionné un préjudice de
28 milliards de Fcfa pour perte des aéronefs. Le temps se chiffrant en argent,
nous réclamons 7 milliards de forfaits, soit un montant global total 50
milliards de Fcfa pour dommage et intérêts au nom de la Camair.
- Préjudice total en dommages et intérêts : Environ 100 milliards
de Fcfa
Propos recueillis par F.I