Lettre ouverte
aux Camerounais: Engager le Cameroun sur le chemin de la confiance
Mes chers compatriotes,
Comme absent à lui-même, le Cameroun
s’apprête à élire ses députés et conseillers municipaux le 30 septembre
prochain.
Il y a de nombreuses raisons objectives et
évidentes de ne pas aborder ce scrutin avec conviction ou enthousiasme : les
dysfonctionnements d’Elecam et les multiples reports sans motif réel de la date
des élections ; le mode de désignation des candidats par certains partis, qui
revient à instituer une quasi-vénalité des charges ; enfin, et surtout, le
sentiment que l’issue est jouée d’avance et ne sera porteuse d’aucun changement
pour le pays.
Il n’en reste pas moins que les cinq
prochaines années seront décisives pour notre pays et je voudrais réfléchir
avec vous, électeurs et candidats, aux enjeux du quinquennat à venir.
Certains voudraient que je me taise. Mais
au nom de quoi ? Nul n’est maître de ma conscience, et celle-ci me dit : tu as
servi loyalement ton pays, et tu as eu le privilège de recevoir beaucoup de
lui. Malgré les vicissitudes de l’heure, tu gardes vis-à-vis de la Nation un
devoir et une responsabilité.
Mon devoir, c’est de m’exprimer au-delà des
polémiques. Depuis que j’ai engagé un dialogue avec la Nation, ma réflexion
échappe aux querelles partisanes. Mon regard se porte plus haut, plus loin, là
où se situe l’intérêt du Cameroun. Car, depuis le 16 avril 2012, j’ai déposé
mon C.V. entre les mains du destin.
Ma responsabilité, c’est de mettre le pays
en face des réalités qui l’attendent au cours des cinq prochaines années et qui
vont former le cadre de son avenir.
Ces réalités, quelles sont-elles ?
J’en vois surtout trois :
- Entre 2013 et 2018, le Cameroun
verra sa population s’accroître de 2,7 millions d’habitants, hors flux
migratoires ;
- Dans le même temps, l’instabilité
va s’accentuer à ses frontières, avec un risque important de déstabilisation
intérieure.
- Enfin, la préparation de
l’après-Paul Biya va occuper le cœur de la vie politique.
Or, l’état actuel de notre démocratie, les
orientations de la politique gouvernementale, le mode de fonctionnement de
l’exécutif, et la faiblesse du pacte social font de ces trois réalités de
réelles menaces pour notre pays.
Cependant, les menaces peuvent devenir de
réelles opportunités pour notre pays, à condition de travailler sans attendre
aux changements nécessaires et de bien réaliser que notre avenir se joue
aujourd’hui.
Quels sont-ils, ces changements nécessaires
? Laissez-moi les esquisser
Le Cameroun doit changer son modèle économique :
D’ici 2018, le Cameroun aura 2,7 millions
de personnes, soit la population du Gabon et de la Guinée équatoriale réunie,
de plus à loger, nourrir, transporter, soigner, éduquer, protéger.
2,7 millions de personnes qui voudront
téléphoner, naviguer sur Internet, s’équiper en électroménager, acheter des
cosmétiques, aller au restaurant ou au supermarché.
Comment faire face à ces besoins quand,
malgré la croissance économique constatée ces dernières années, la pauvreté et
le chômage augmentent implacablement ?
Depuis les années 80, le modèle économique
de notre pays est orienté vers l’accroissement de la rente pétrolière. Mais,
aujourd’hui, la situation n’est plus tenable, les réserves s’épuisent.
C’est pourquoi le Cameroun doit en priorité
diversifier son économie, et trouver des chemins de croissance dans des
secteurs créateurs à la fois de richesses et d’emplois. Ces sources sont
clairement identifiées : gains de productivité dans l’agriculture (cacao, café,
coton, banane), développement des services (banques et transports), qui sont
déjà le premier contributeur à la croissance, rattrapage du retard dans les
industries manufacturières et investissement massif dans les infrastructures.
La mutation envisagée est considérable, car
elle implique que le secteur privé, c’est-à-dire les entrepreneurs camerounais,
et non plus l’Etat, devienne désormais le principal créateur de la richesse
nationale.
Le pouvoir exécutif doit faire le pari de
la confiance aux Camerounais, et accepter que l’Etat perde sa place dominante
et les prérogatives lui venant de la priorité donnée jusqu’ici aux industries
extractives dans le processus de formation de la richesse nationale.
En termes concrets, développer le secteur
privé, cela veut dire : des règles du jeu claires, moins de fraudes, plus de
sécurité juridique, et l’accès des nationaux à tous les secteurs d’activité.
En suivant cette voie, le Cameroun fera que
le risque se transformera en manne pour les entreprises qui sauront se
positionner pour répondre aux nouveaux besoins. Il fera aussi que cette manne
ne profitera pas qu’aux sociétés étrangères : occidentales, asiatiques ou
africaines.
Les grands groupes marocains, nigérians, et
même ghanéens s’installent chez nous. Il faut faire émerger de grands groupes
camerounais pour les concurrencer sur notre sol aujourd’hui, et sur leur
demain.
Est-ce possible ?
Bien sûr. Dans ce domaine, il n’y a pas de
fatalité.
Pendant la période 1980-1983, le niveau de
corruption au Cameroun était, selon une étude publiée en 1995 par Paolo Mauro,
économiste central du F.M.I., plus faible que celui de certains pays européens
tels que l’Italie ou le Portugal. Nous avions le même niveau de perception de
la corruption que l’Espagne. En Afrique, nous occupions le peloton de tête !
De même, il n’y a pas aujourd’hui un seul
Camerounais parmi les cent hommes les plus riches d’Afrique sub-saharienne,
signe de faiblesse de nos groupes industriels. Mais il y a trente ans, il y en
avait deux !
Le Cameroun doit être gouverné et la nation
doit retrouver son unité :
Le redressement économique du Cameroun ne peut pas s’effectuer dans un contexte
d’immobilisme.
Or, dans ma dernière lettre ouverte au
président de la République, j’ai expliqué que c’est là le grand mal de notre
pays.
En termes techniques, l’immobilisme résulte
principalement de deux choses : l’agencement semi-présidentiel de nos
institutions, qui conduit à la dilution de la responsabilité entre le chef de
l’Etat et le Premier ministre ; et le rôle accessoire auquel est réduit le
Parlement qui tient lieu souvent de simple chambre d’enregistrement.
En termes plus simples, que cela
signifie-t-il ? Que le Cameroun n’est tout bonnement pas gouverné.
Pour qu’il le soit, il faut comme je l’ai
recommandé auparavant, supprimer le poste de Premier ministre pour que le chef
de l’Etat ait une action directe et un contrôle entier sur le gouvernement et
l’application des grandes orientations.
Il faut aussi donner plus de pouvoir au
Parlement, c’est-à-dire aux députés que vous élirez la semaine prochaine, en le
laissant peser réellement dans la définition des grandes orientations ainsi que
dans le contrôle de l’exécutif.
Le rétablissement de la confiance, qui,
comme vous le savez est mon maître-mot, passe par ces réformes. Sans elles, pas
de fin à l’immobilisme.
Or, demander ces réformes au président
Biya, c’est demander des mangues à un bananier !
Elles se feront donc après lui. Ce sera à
nous, à vous, à moi, de les mettre en œuvre.
Mais pouvons-nous pour autant nous
dispenser d’agir dès aujourd’hui pour préparer sereinement l’après-Biya ?
Certes, le Cameroun s‘est doté de
procédures organisant la succession de l’actuel Président. Mais tout laisse
craindre toutefois que la passation sera un moment extrêmement périlleux.
La mise en place récente du Sénat règle le
mécanisme institutionnel de succession du chef de l’Etat en cas de vacance du
pouvoir. Du moins, faut-il l’espérer ! 120 jours pour organiser des élections
qui tourneraient la page à une présidence de plus de 30 ans, c’est un peu
court.
Mais, écartant l’hypothèse de la vacance
subite de l’exécutif, le scénario n’est guère plus réaliste. En effet, les
manipulations du calendrier électoral font qu’en 2018 devraient se tenir à la
fois, l’élection présidentielle, les élections sénatoriales, les élections
législatives et les élections municipales !
Quand cesser-a-t-on de considérer que les
délais inscrits dans la loi sont indicatifs ? Il n’y avait pas de « crise grave
» pour justifier le report des élections législatives. Pendant que certains
pays organisent des élections pour sortir d’une crise, notre pays manipule le
calendrier électoral au risque de nous entraîner dans une crise ou dans une
vacance institutionnelle préjudiciable au bon fonctionnement de l’Etat.
Les conditions dans lesquelles le
successeur de Paul Biya accèdera à la magistrature suprême détermineront
largement sa capacité à gouverner le Cameroun.
Le temps est révolu où l’on pouvait penser
avec Marx que la violence soit la « sage-femme de l’histoire ». Que le Cameroun
pourrait arracher sa liberté, sa prospérité et se construire politiquement en
un soir, en une nuit, voire en un « printemps » de tous les dangers.
Donc, si nous ne pouvons pas immédiatement
mettre fin à l’immobilisme dans lequel le pays est englué, nous devons sans
attendre tout faire pour neutraliser le potentiel de violence et d’instabilité
que portent l’échéance de 2018 et l’éventualité de la vacance subite.
Que pouvons-nous faire dans ce sens ? Mon
appel va vous sembler abstrait, mais il est en réalité d’une portée très
concrète : la nation doit recouvrer son unité.
Le pouvoir a favorisé les divisions de
toutes sortes.
Sur le plan de la justice sociale, malgré
l’apparition incontestable d’une classe moyenne, la distribution de la richesse
reste trop inégale et rien n’a été fait pour adapter le modèle économique afin
de soutenir les plus vulnérables : les femmes, les jeunes, le monde rural, qui
sont les plus exposés aux fléaux de la pauvreté, du chômage, de l’illettrisme,
mais aux conséquences des bouleversements climatiques telles que les
inondations et la sécheresse.
Sur celui de la justice tout court, tous
les jours les lois sont bafouées, nos droits fondamentaux violés, la confiance
rendue impossible et la méfiance réciproque entre l’Etat et les citoyens
endurcie. C’est ce qui fait que le Cameroun est un pays pauvre et le restera
encore longtemps si nous ne mettons pas en place une société inclusive dans
laquelle le pouvoir est partagé et contrôlé. C’est ce que j’ai appelé une
SOCIETE DE CONFIANCE.
Sans elle, le Cameroun continuera de
rétrograder.Comment accepter que le Cameroun, au début de ce 21ème siècle, soit
classé par les U.S.A. , la plus ancienne démocratie ininterrompue du monde,
parmi les pays détenant des prisonniers politiques ! Ces pratiques d’un autre
siècle rajeuniront certains, mais à la jeunesse camerounaise, à ceux qui vivent
dans le temps présent, c’est le signe d’un régime usé, qui jette ses dernières
cartes, d’un pays qui rétrograde.
Ce n’est pas tout : des crispations
tribalistes pénètrent toute la société et chaque acte de l’exécutif semble être
pour les favoriser. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest en passant par le
Littoral, les populations ont le sentiment d’être méprisées, ignorées. Notre
pays est de plus en plus une juxtaposition de régions ou d’ethnies, régression
qui nous ramène des dizaines d’années en arrière. C’est un des plus grands
échecs à mettre au passif de Paul Biya.
Ce vecteur de division entre les
Camerounais est le plus sûr moyen à la fois de décevoir les espoirs de ceux qui
espèrent l’après-Biya, et de conforter les craintes de ceux qui redoutent son
départ du pouvoir.
Nous nous devons au quotidien, malgré
l’action contraire de l’Etat, de dépasser ces clivages, d’oublier ces fausses
distinctions, de faire taire la méfiance pour bien nous pénétrer de cette
vérité : nous n’avons d’avenir que commun.
Cet appel à l’unité que je lance ici répond
aussi à une situation historique qui va s’aggraver au cours des cinq prochaines
années. il s’agit de l’instabilité à nos frontières.
Désormais, des réseaux terroristes et
mafieux infiltrent notre pays, des troupes armées y font même des incursions.
Peut-on écarter le risque qu’à la faveur d’on ne sait quelle combinaison, notre
pays finisse par être déstabilisé ? Ferons-nous encore longtemps semblant de ne
pas voir que c’est une menace à l’intégrité territoriale de notre pays ?
Saurons-nous nous unir pour y faire face ?
Mais, le choix de l’unité ne doit pas être
seulement un choix négatif. L’unité est la condition du rayonnement du
Cameroun.
Je reviens pour finir aux élections du 30
septembre prochain.
J’espère avant tout que l’éclairage que je
vous ai apporté vous aidera à faire votre choix. Ne vous laissez pas tromper
par les apparences. Les plus ardents réformateurs, ceux qui seront les plus à
même de transformer notre pays, ne sont pas tous dans l’opposition. Pas plus
que ne s’y trouvent ceux qui tentent de promouvoir le sectarisme, la haine et
la violence au rang de méthode légitime de l’action politique. A l’inverse, les
plus conservateurs, les prébendiers du système, ne sont pas tous en Rdpc.
Surtout, prenez conscience des enjeux du
quinquennat, des risques et des moyens d’en faire des opportunités ; voyez
votre destin dans celui de la collectivité.
A vous, candidats dont l’engagement au
service du pays est sincère, je voudrais adresser un message d’encouragement.Certes,
tant que nous serons dans une société de méfiance, une société exclusive, vos
pouvoirs seront limités ; mais la nation compte sur vous pour relever les défis
auxquels le pays sera confronté durant votre prochaine mandature. Les
Camerounais sont prêts à tout endurer : souffrance, privation et pauvreté, dans
l’espoir d’un avenir plus souriant pour leurs enfants.
Aux nouveaux partis qui se lancent dans la
campagne, dont je connais parfois la qualité des dirigeants pour avoir servi
avec eux au gouvernement, ou pour les avoir côtoyés dans mes fonctions
antérieures, je souhaite bonne route. Qu’ils sachent que je suis attentivement
leurs activités, et que j’espère qu’ils contribueront à animer le débat
politique dont notre pays a cruellement besoin.
En guise de conclusion, je voudrais encore
vous parler de notre pays, le Cameroun:
Quand il est uni, mobilisé, rassemblé, c’est un pays courageux,
capable de relever tous les défis et de faire face à toutes les menaces.
Quand il est désabusé, sans objectif clair, c’est un pays qui glisse vers la
facilité, le désordre, l’égoïsme, qui se montre incapable de tirer avantage de
tous ses atouts.
Dans les cinq ans qui viennent, il faudra qu’il tourne
décidément le dos à la médiocrité et qu’il prenne le chemin de la grandeur, qui
est, j’en suis profondément convaincu, sa destinée.
Pour cela, le seul moyen est que le Cameroun devienne une
SOCIETE DE CONFIANCE : confiance en nous-mêmes, confiance en l’autre.C’est
cette mission que je continuerai à mener comme un combat.
Marafa Hamidou Yaya