MARIE ROBERT ELOUNDOU : CE QUE FOTSO ET
MARAFA M’ONT DIT
Il aura passé 15 mois de détention à la
prison centrale de Yaoundé, aux côtés de l’ex-Adg de la Camair et de l’ancien
Minatd. Emprisonné dans le cadre de l’affaire du Programme international
d’encadrement et d’appui aux acteurs du développement (PID), l’ex-représentant
résident de cet organisme a été blanchi et libéré par la justice au mois d’août
2012.
Il se raconte que depuis votre
relaxe en août 2012, vous faites l’objet de menaces. Elles sont de quel
ordre ?
Lorsque des hauts dignitaires du régime
vous font savoir qu’il serait sage pour vous de rester motus et bouche cousue
sur ce qui vous est arrivé en dépit des persécutions dont vous avez été
victime, car tout cela pourrait concourir à salir davantage l’image de notre
pays, lorsqu’il vous est intimé l’ordre d’observer le silence pour ne pas
attirer les foudres des vieux démons de la répression parce que vous êtes fiché
par les services secrets qui peuvent vous kidnapper comme la première fois et
vous retourner au cachot d’autorité, lorsque…je crois que cet ensemble de
manœuvres s’appelle : harcèlement, intimidation, menaces…
Qu’est-ce que vous appréhendez à travers
ces manœuvres?
On n’est jamais à l’abri de quelque
désagréable surprise, même au pire lorsqu’on a survécu à des enlèvements, à des
tortures, à des menaces sur votre vie, à un emprisonnement. Souvenez-vous que
c’est dans votre journal en avril 2011 que le président du comité de gestion
chargé de la restructuration du PID, Martin Biwole, dans une interview où il
faisait savoir que « tous les fossoyeurs du PID doivent rendre gorge »,
question de faire entendre sa détermination à aller jusqu’au bout dans le
processus de redressement du PID, dénonçait les menaces de mort dont son
collaborateur, le représentant résident que j’étais, faisait l’objet. Nous
travaillions résolument pour l’intérêt général.
Des jours plus tard, curieusement j’étais kidnappé par un commando de la Direction générale des renseignements extérieurs (DGRE), torturé dans ses cellules, à la police judiciaire, au commissariat central N°1 de Yaoundé. J’ai été embastillé de mai 2011 à août 2012 à la prison centrale de Yaoundé. Interdit de soins, j’y ai presque perdu ma vue. En fin de compte, la justice m’a signifié un non lieu au terme d’une information judiciaire de 15 mois, au total j’aurais passé 16 mois de captivité.
Des jours plus tard, curieusement j’étais kidnappé par un commando de la Direction générale des renseignements extérieurs (DGRE), torturé dans ses cellules, à la police judiciaire, au commissariat central N°1 de Yaoundé. J’ai été embastillé de mai 2011 à août 2012 à la prison centrale de Yaoundé. Interdit de soins, j’y ai presque perdu ma vue. En fin de compte, la justice m’a signifié un non lieu au terme d’une information judiciaire de 15 mois, au total j’aurais passé 16 mois de captivité.
Qu’est-ce qui a fait de vous un « acteur
gênant » ?
J’ai été victime d’une répression
aveugle et tyrannique. Des forces tapies dans le pouvoir voulaient implémenter
sur le territoire camerounais les vents révolutionnaires qui terrassaient des
dictatures arabes et pousser M. Biya à la porte. La mission de redressement que
nous menions contrariait ces projets de déstabilisation à travers la crise du
PID.
Tandis que nous avions charpenté un plan
de restructuration pour résorber la crise prévoyant le remboursement progressif
des cautions à des adhérents impatients à travers le fonds des recouvrements
des appuis financiers octroyés, et que le président Martin Biwole avait même
initié des poursuites judiciaires contre des présumés responsables de
détournements des fonds et des biens sociaux, des spécialistes de la
déstabilisation avaient surgi mobilisant et incitant des foules à descendre
dans la rue, à marcher sur le palais d’Etoudi.
Le drame c’est que ces pyromanes qui
avaient cru devoir exploiter la crise du PID pour générer une insurrection
populaire avaient maintenu ces mouvements incitatifs aux troubles sociaux
malgré la mise en œuvre des enquêtes judiciaires par les pouvoirs publics. Il y
a lieu de s’émouvoir de leur étonnante impunité.
Quelle est la trame des menaces et
intimidations exercées sur vous aujourd’hui ?
Manifestement ma cohabitation avec Yves
Michel Fotso et Marafa Hamidou Yaya durant mon séjour en prison est un délit.
C’est le délit de cohabitation (rires). Le règne de la surenchère, de la
manipulation, de l’affabulation, des mensonges pour régler les comptes est à
son pic au sein de l’establishment. Les Camerounais ont longtemps franchi les
frontières de l’éthique citoyenne, de la peur de Dieu, ils déciment des vies
sans vergogne.
Vous avez côtoyé Marafa Hamidou Yaya et
Yves Michel Fotso à la prison centrale de Kondengui. Quels genres de
prisonniers étaient-ils ?
Au Cameroun, il y a un système
d’accompagnement diffamatoire et mensonger qui consiste à vous dépouiller de
toute honorabilité, de toute présomption d’innocence lorsque vous êtes
embastillé. C’était des détenus ordinaires, soumis aux mêmes tortures. Nous
étions tous embastillés au 13 bis, un bâtiment nouvellement construit de quatre
cellules classé en quartier VIP.
Placé en isolement dans la cellule N°1,
M. Yves Michel Fotso en était le premier et unique occupant lorsque j’arrive en
mai 2011. Le régisseur s’était fait le devoir de m’y transférer, j’étais traqué
par des affabulations de détournement de 4 milliards FCFA dans l’affaire PID.
Je découvre un Yves Michel Fotso bien
qu’affecté par ses déboires judiciaires, mais déterminé dans son combat pour la
justice et la liberté. Il me faisait cas des désaffections amicales, des
retournements de veste dans son entourage, des dissensions familiales.
En dépit de ses propres tribulations, il
était devenu le recours des nécessiteux de tous bords, prisonniers et personnel
pénitentiaire confondus. Fait remarquable, son sens de générosité et de partage
s’accompagnait d‘un effort de discrétion absolue. Nous avons vécu ensemble un
an durant jusqu’à sa déportation nocturne du 25 mai 2012 pour le SED.
Le ministre Marafa Hamidou Yaya a
séjourné parmi nous durant 45 jours. A notre premier contact le jour de son
arrivée à Kondengui, dans la cellule N°4 où il venait d’être affecté, c’est un
homme à la fois flegmatique et sobre, en rien impressionné par son
emprisonnement. C’est cet homme que je rencontre. Il me confie que : « même
s’il me venait à disparaître, il y aura d’autres Marafa ».
Au régisseur de la prison qui l’avait
reçu des heures plus tôt, il avait signifié qu’il est un prisonnier politique,
mais que son embastillement pourrait malheureusement lui engendrer des ennuis,
à lui simple fonctionnaire affecté à son musèlement. Le régisseur n’a pas tenu
un mois de plus à son poste. M. Marafa avait fait montre d’une extraordinaire
adaptation en milieux carcéral de même qu’il avait su se faire adopter par les
prisonniers à travers ses sorties épistolaires.
Quelles étaient vos conditions de
détention?
Elles étaient très rudes à mon arrivée ;
nous faisions face à des traitements inhumains. Pas accès aux soins, j’en ai
presque perdu la vue. Une traque morale et psychologique était exercée sur
nous. Dès 18h nous étions séquestrés dans des cellules, lesquelles n’étaient
rouvertes par nos geôliers que le matin à 07h, parfois au-delà. Il est arrivé
que nous soyons séquestrés jusqu’à 10h. Nous étions les seuls dans la prison
centrale à être soumis au même régime que les condamnés à mort.
C’était une période d’enfer. M. Yves
Michel Fotso était brocardé comme le prisonnier le plus dangereux. La prison
fourmillait de rumeurs de toute sorte à son sujet. Il se racontait par exemple
qu’il disposait d’un commando d’élites sud-africaines qui viendrait organiser
son évasion. Le pouvoir s’était cru obligé d’infiltrer des espions et des
agents jusque dans nos cellules en plus du dispositif sécuritaire affecté aux
contrôles de nos moindres faits et gestes.
Est-ce qu’il vous est arrivé de discuter
avec eux de l’affaire de l’avion présidentiel ?
Oui, nous avons souvent parlé des
affaires et des affaires de l’avion présidentiel, non pas d’une seule. Mais
essentiellement avec M. Yves Michel Fotso avec qui nous avons passé plus de
temps. Il y a eu la première affaire aux Etats-Unis, affaire entendue ici comme
procès. C’était lors de la liquidation de GIA international.
Cette affaire m’avait-il appris, fut
jugée devant les tribunaux américains par la signature d’un accord dénommé «
Settlement agreement and mutual release ». Le Cameroun héritant de 52 °/° des
actifs de la liquidation de GIA International avait bénéficié d’un Boeing
767-200 d’une valeur de $ 16 Millions qu’avait acheté GIA chez Rothwell, et
d’une somme de $ 853 163, 27. Qu’en vertu d’une disposition de cet accord, il
était exempt des poursuites judiciaires en qualité d’ancien dirigeant de la
Camair. Il y fondait sa foi en la justice et l’espoir de recouvrer la liberté.
La deuxième affaire de l’avion
présidentielle, c’est celle pour laquelle il était incarcéré. M. Yves Michel
Fotso confiait qu’il redoutait d’être pris dans un concasseur visant à broyer
politiquement son ami Marafa dopé par des ambitions présidentielles. Qu’on
avait fait croire qu’il était son pourvoyeur de financements. Il nourrissait ces
inquiétudes sur deux faits : on lui avait demandé de livrer le ministre Marafa
et de sortir de la banque CBC dont il est le promoteur contre sa libération,
m’avait-il confié.
De curieux émissaires de la présidence
venaient souvent le rencontrer au bureau du régisseur de la prison. Il leur
répondait qu’il n’était pas le bon inventeur de mensonges. Selon lui, il payait
le prix de son amitié avec Marafa. Un jour, alors que le hasard avait voulu que
nous nous retrouvions dans la cellule N°4 du ministre Marafa, il l’a presque
agressé en ces termes « C’est toi qui m’a emmené en prison!» Marafa ne
comprenant pas où est-ce que son jeune ami allait en venir, il était ébahi. Et
de lui demander : « Mais comment ça Yves ? » «Mais puisqu’on m’a demandé de te
livrer», avait répliqué Yves Michel Fotso.
Comment ces détenus furent transférés de
la prison de Kondengui au Secrétariat d’Etat à la Défense ?
C’est un évènement qui a plongé la
prison dans l’émoi et la consternation. L’on était renseigné sur leur éventuel
transfèrement depuis des jours. Les anciens ministres Atangana Mebara,
Olanguena Awona, Henri Engoulou et l’ex-premier ministre Chief Ephraïm Inoni
étaient aussi cités. Le débat était à son pic sur les violations de loi
impliquant leur éventuel bâillonnement dans un camp militaire, jusqu’à ce que
surviennent l’enlèvement nocturne du vendredi 25 mai 2012 aux environs de 20h
par un commando du SED.
Cette opération militaire dans une
prison fut émaillée des violences et des tortures abominables sur le détenu
Yves Michel Fotso. La protection, la préservation de l’intégrité tant physique,
que morale et psychologique des personnes en détention est pourtant un principe
des droits universels de l’Homme. Le Cameroun a réalisé un recul antique dans
la barbarie.
Le silence des autorités camerounaises à
la suite de ces graves incidents me semble ambigu. Il flottait une ambiance de
peur et de deuil en prison, il planait comme une sorte d’incertitude sur le
sort qui leur sera réservé. Lors des célébrations de messes et cultes le
dimanche d’après, des détenus appelèrent à des intentions de prière et de messe
pour recommander ces frères à la protection de Dieu.
Quel retentissement avaient les lettres
de Marafa Hamidou Yaya au sein de la prison ?
La présence de l’auteur soit parmi nous
concédait forcement une résonance autrement particulière à ces correspondances.
C’étaient des obus qui transpiraient courage et défiance, laissant frémir des
fracas d’une rupture entre M. Marafa et M. Biya. La population carcérale
s’était mise à rêver de voir d’autres pontes reclus jaillir de leur mutisme de
carpe pour exposer au peuple les tréfonds nauséeux du système dont ils ont été
des piliers. Ce ne fut qu’un rêve.
Dans un environnement où la majorité
privée de liberté n’est pas jugée, où les victimes de l’injustice et de
l’arbitraire pâtissent des défaillances et atrocités du système, le pourfendeur
passe naturellement pour le rédempteur, le sauveur. A chacune de ses rares
sorties pour une communication au parloir, il était affublé de « monsieur le
président.» Les détenus lui avaient pardonné d’avoir été un pilier du système
qu’il pourfendait. Plus sérieusement, les révélations contenues dans ces
correspondances ont ravivé au sein de la population carcérale le sentiment
d’une justice à tête chercheuse, d’une justice à la solde du plus fort. D’où
ces interrogations sans réponses qui hantaient les prisonniers.
Comment le bénéficiaire des actes de
corruption ayant provoqué la mort de 71 personnes dans le crash du Boeing 737
de la Camair le 03 décembre 1995 pour mauvais entretien n’a-t-il jamais été
inquiété et de surcroît, jouit de la confiance du président de la République?
Où sont partis les 32 milliards 500 000 FCFA remboursés au Cameroun dans un
compte de la SGBC à Paris par la SAA (South African Airways) coupable
d’actes de corruption dans son contrat avec la Camair ?
Marafa avait-il rédigé les trois
premières lettres du fond de sa cellule, à Kondengui ?
M. Marafa écrivait ses lettres depuis sa
cellule. A ce que je sache, il consacrait l’essentiel de son temps à l’écriture
en général notamment celle de ses « pré-mémoires ». Il était seul maître de son
timing et réussissait à générer l’effet surprise à chacune de ses sorties
épistolaires. Après ses deux premières correspondances, lors d’un échange qu’il
m’avait fait honneur de partager, je lui avais fait savoir que par respect pour
les Camerounais auxquels il s’adressait, il serait indiqué de leur parler de
l’affaire qui l’avait entraîné dans les liens de la Justice.
Que ce vœu émanait des nombreuses réactions
qui découlaient de ses deux premières lettres. Il m’avait rétorqué qu’il se
réservait le droit de le faire à travers un procès équitable, devant une
justice indépendante. Quelques jours plus tard, le locataire de la cellule N°4
du quartier 13 bis rendait public sa troisième missive. Elle portait sur
l’affaire BBJ-2. M. Marafa avait donc silencieusement décidé de répondre à la
poussée d’interrogations des Camerounais qui se demandaient pourquoi il ne
s’exprimait que sur des sujets autres que celui pour lequel il était présumé
être incarcéré.
Fotso et Marafa entretenaient-ils
toujours des rapports étroits en prison ?
La relation amicale entre les deux
hommes est de notoriété publique. Celle-ci n’a aucunement été altérée par leurs
déboires judiciaires. Lorsque M. Marafa est écroué à Kondengui,
l’administration pénitentiaire est face à un dilemme: où le loger? Yves Michel
Fotso est en prison depuis 16 mois déjà. Le seul bâtiment alors vide est le
Quartier 5 bis à côté du quartier 5 féminin. Le régisseur opte d’y transférer
l’ancien premier ministre Inoni Ephraïm.
Pour des raisons d’inconvenances
évidentes, il s’est gardé d’y transférer l’ex Minatd. Les mêmes préoccupations
vont se poser pour les quartiers VIP 7 et 11 où sont détenus respectivement
l’ex-SGPR Jean Marie Atangana Mebara et M. Hubert Ottele Essomba. Le Dga de Apm
avait même exprimé son aversion contre un éventuel transfèrement de Marafa dans
son quartier.
C’est dans ces circonstances que
l’ex-Minadtd est finalement transféré au Quartier 13 bis dont son ami Yves
Michel Fotso était le « commandant », une sorte d’interlocuteur entre les
détenus du quartier et l’administration pénitentiaire. Ce n’est pas Yves Michel
Fotso qui avait été demandeur. Contraints de cohabiter, d’échanger, de
partager, leurs rapports sont demeurés étroits, je dirais plutôt qu’ils se sont
même renforcés dans l’épreuve.
Vous respirez maintenant de l’air frais,
celui de la liberté. Comment appréciez-vous les peines infligées à Yves Michel
Fotso et Marafa Hamidou Yaya ?
J’ai humainement été bouleversé par le
sort de mes anciens compagnons d’infortune. On ne peut commenter une décision
de justice. Je suis fortement engagé contre les atteintes à la fortune
publique, à l’intérêt général de façon globale. Mais j’ai engrangé une connaissance
assez consistante des faits portant sur l’affaire BBJ2. Je m’en suis constitué
une opinion, mais une opinion n’a pas force de décision de justice
malheureusement. L’ultime round de l’affaire BBJ2 va se jouer au TCS dans le
cadre du pourvoi. Je suis fondé de faire confiance à la Justice jusqu’au bout
dans cette affaire en dépit des manœuvres d’obstruction à une justice équitable
et indépendante qui impactent et discréditent l’opération épervier.
Yves Michel Fotso a intenté un procès
contre l’Etat du Cameroun aux Etats-Unis. Où en est-on avec la procédure ?
Le procès aura lieu, des juges de la
haute cours fédérale des Etats-Unis ont approuvé la plainte. Elle est pendante
devant le tribunal fédéral d’Eugène dans le district de l’Oregon sous le numéro
de procédure 06h12-cv-01 415-TC. Elle oppose M. Yves Michel Fotso contre l’Etat
du Cameroun et autres, c'est-à-dire l’officier et le sous officier de
gendarmerie l’ayant torturé lors de son kidnapping à Kondengui pour le SED.
Selon Me Kelly l’avocat américain de M.
Yves Michel Fotso, l’affaire sera jugée en vertu de l’ «Alien Tort Statute»
(ATS), une loi américaine qui est devenue populaire dans les années 1980 comme
un instrument de défense des droits universels de l’homme devant les
juridictions américaines et de la violation par l’Etat du Cameroun, à travers
les poursuites judiciaires contre l’ancien Adg de la Camair, du « Settlement
Agreement », l’accord signé suite à liquidation de GIA international.
© Lemessager : Georges Alain Boyomo
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Faites vos analyses et commentaires en toute liberté.