Voici notre contre - enquête sur le vrai bilan économique
du Cameroun depuis les indépendances jusqu’à nos jours.
Dans le quotidien Le Jour du 07 Novembre 2012, a été publié un
très long article intitulé « Le Vrai Bilan économique de Paul Biya »,
sous la plume d’un soi-disant « groupe de cadres camerounais en service dans
les administrations publiques et qui, du fait de leurs fonctions, ont souhaité
garder l’anonymat ».
Les auteurs ont dressé un violent réquisitoire contre les trente
ans du régime de Biya, et on peut s’accorder sur certaines de leurs
conclusions, même si, d’une manière générale, l’argumentaire reste très faible.
Quelques points ont particulièrement attiré l’attention :
1-les grands projets : les auteurs accusent le chef de l’État
d’avoir été une « victime d’une idée fort ancienne, celle en vogue il y a près
de 30-40 lorsqu’on pensait que la croissance et le développement étaient
synonyme de réalisation de Grands Projets d’infrastructures de l’Etat ». Ils
estiment les grands projets peu appropriés au motif qu’ils ne génèrent pas la
croissance. Tout d’abord, il faut dire que l’idée des Grands Projets, à l’origine,
ne vient pas de Biya, mais de l’échec du DSCE (Document de stratégie pour la
croissance et l’emploi) qui avait mis l’accent sur le secteur social et dont la
mise en œuvre avait abouti à des interventions très dispersées entrainant une
dilution de ressources. D’où l’idée de concentrer les ressources sur les
activités ayant le plus fort impact. Comme le Cameroun restait sous le contrôle
du FMI, le Gouvernement ne pouvait faire autrement que de concentrer ses
efforts sur les infrastructures qui lui sont autorisées par la religion du
libéralisme. S’agissant maintenant du faible impact évoqué à leur encontre, il
faut noter qu’une économie est un organisme dans lequel chaque acteur joue son
rôle : l’investissement public en est le moteur et son but n’est pas la
création directe de la croissance, mais la levée des contraintes qui empêchent
le secteur privé de s’exprimer de manière optimale, car c’est au secteur privé
de créer des activités rentables qui gonflent le revenu. Le rôle de l’État se
limitant dans l’amélioration du biotope, le choix des infrastructures est
nécessairement judicieux. Par contre, le choix des ports en eau profonde et des
autoroutes est contestable et a été contesté, mais évidemment pour des raisons
qui n’ont rien à voir avec celles des auteurs anonymes du journal Le Jour. Leur
véritable danger réside dans le fait qu’ils sont consommateurs en devises : par
exemple, l’autoroute Yaoundé-Douala va intensifier la circulation des véhicules
de tourisme, mais son apport en termes de production des devises restera
faible. Ce qu’il faut reprocher au système, ce n’est pas le choix des Grands
Projets, mais c’est le choix de ce qu’il faut faire et la manière de le faire.
2-Sur les revenus générés par les mines : les auteurs reprochent
à M. Biya de privilégier les recettes venant des mines, au lieu de la
production locale, se mettant ainsi au service des multinationales. Il s’agit
là d’une vision enfantine : d’un point de vue technique, un FCFA engrangé sur
l’or ou sur le fer a une qualité plus élevé qu’un FCFA engrangé sur un service
dispensé à la population. Pourquoi ? Parce que c’est une devise qui peut
permettre d’acheter un bulldozer à l’extérieur, alors que les FCFA
travaillés sur la base des services locaux n’ont aucune contrepartie extérieure.
En réalité, c’est une simple circulation des devises.
3-Sur l’endettement extérieur : les auteurs évoquent les grands
projets dont le coût total s’évalue à 10130 Milliards et s’interrogent sur la
capacité du Cameroun à rembourser cette somme. En fait, c’est une interrogation
inutile, car la situation du Cameroun ne lui permet pas de trouver une telle
somme et, en dehors des quelques barrages acceptée par la Chine pour des
besoins de positionnement stratégique, il n’y a plus personne pour nous prêter
de l’argent. Tout le tralala fait sur les financements n’est que l’action de
quelques escrocs internationaux qui abusent de la crédulité nationale pour nous
miroiter des projets. En fait, l’endettement du Cameroun ne viendra pas de ce
type d’opérations, mais simplement du déficit cumulé de la balance courante. La
situation est en effet très grave : au lendemain de l’Atteinte du Point
d’achèvement de l’Initiative PPTE, en 2007, le déficit commercial du Cameroun
n’était que de 70 Milliards. En 2008, il est monté à 203 Milliards. En 2009, il
a atteint 417 Milliards. En 2010, le déficit a grimpé à 606 Milliards, avant
d’exploser en 2011 à 1076 Milliards. Malgré la légère incurvation liée à
l’amélioration des recettes pétrolières dont les ventes ont évolué considérablement
(plus de 300 Milliards de recettes supplémentaires), le déficit pour cette
année (2012) atteignait déjà 714 Milliards au cours des 9 premiers mois.
Cinq ans seulement après la sortie de l’ajustement, les
engagements extérieurs du Cameroun liés au déficit cumulé de la balance
courante s’évaluent déjà à 3085 Milliards. Or, il n’y a aucune perspective que
cette situation s’améliore, bien au contraire. Notre déficit commercial est
alimenté par la consommation urbaine et l’amélioration de la scolarisation qui
modifie le profil de consommation au profit des biens importés : costumes,
téléphones, etc. L’alimentation, et notamment les importations de riz, explose.
Les jeunes abandonnent les villages pour la ville où ils viennent gonfler le
nombre de consommateurs de devises, alors même que la paysannerie vieillit.
Le déficit commercial n’est pas un risque tant qu’une économie
est vivante, car ce déficit est compensé par des excédents et les deux se
compensent mutuellement dans le temps. A contrario, l’économie du Cameroun est
devenue une économie-zombie et le déficit est devenu une exigence fonctionnelle
d’une vie apparente. Ce déficit va le replonger dans une situation à la Grèce
avant 2016.
4-Sur les détournements de fonds : les auteurs ont montré que
les détournements de fonds ne sauraient expliquer la situation du Cameroun,
compte tenu de la modicité des sommes détournées. C’est vrai, mais il faut
élargir la problématique en la portant sur le plan macroéconomique : les
détournements sont des phénomènes microéconomiques de transfert de propriété
d’un acteur économique, appelé État vers un autre acteur économique appelé «
ministre voleur ». Mais l’argent ne sort pas du territoire et les détournements
ne sauraient freiner un pays. Ils conduisent simplement à une concentration
excessive de l’outil de production entre quelques mains, une petite poignée de
familles détenant les hôtels, les usines, les plantations, etc. Mais au moins,
il y a un outil de production, contrairement au Cameroun où il n’y a rien du
tout. Ce qui pose problème dans notre pays, ce n’est pas les détournements de
fonds, mais l’incapacité du système à maintenir une substance productive et
l’échec de toutes les tentatives de créer une PME, que ce soit avec l’argent
propre ou avec l’argent sale, avec l’argent local ou l’argent étranger.
5-sur les autres points : les autres points sur lesquels portent
les critiques ont trait aux défaillances de la politique économique, qu’elle
concerne le financement, l’agriculture, la politique monétaire ou l’éducation.
La démarche trahit la méconnaissance des trois (3) strates d’analyses qu’il
faut respecter pour aboutir à une perception saine de la réalité économique et
aboutir à des solutions efficaces. La première strate est la faisabilité
macroéconomique d’une politique, autrement dit, sa viabilité par rapport au
contexte international. Avant d’engager une politique agricole, il faut d’abord
s’assurer qu’elle est possible et à quelles conditions. Et de ce point de vue,
malgré les illusions des économistes, le développement du secteur agricole est
impossible au Cameroun à cause de deux verrous macroéconomique.
Le premier verrou, appelé « non-connivence du système productif
», est à discontinuité de la filière
agricole qui se traduit par une désarticulation entre la production
nationale, essentiellement faite par les paysans, et la demande nationale
industrielle. Le problème majeur est que les caractéristiques de la production
artisanale très instable et imprévisible sont incompatibles avec le
marché industriel qui ne peut fonctionner que sur des prévisions.
Cette incompatibilité a un double effet :
elle empêche d’un côté l’agriculture
artisanale de profiter du marché industriel pour
se développer et d’un autre côté, elle déstabilise les exploitations modernes
qui se trouvent dans l’impossibilité d’évoluer.
La conséquence est un verrouillage du système
productif agricole et une réduction considérable de ses possibilités
d’extension.
Le second est le « verrou de la contrepartie extérieure »,
c’est-à-dire, la tendance des paysans à consommer aussi les biens importés
sitôt que leur revenu s’améliore, remplaçant ainsi le déficit agricole par un
déficit électroménager plus important.
De tels verrous ne peuvent pas autoriser la réussite d’une
politique agricole et on le voit bien : la haute élite camerounaise (ministres,
directeurs généraux, colonels, etc.) qui n’a pas de problèmes sur le plan
financier ou d’accès à la terre s’y est essayée et s’est cassée les dents. Le
problème est ailleurs.
La seconde strate de l’analyse est le niveau organique, et elle
n’est valable que si le niveau macroéconomique autorise l’opération. Elle
consiste par exemple à adopter, pour la banque agricole, une architecture
compatible avec ses missions et la sociologie du Cameroun. Les auteurs du
réquisitoire contre Paul Biya ont donc raison de dénoncer la configuration
adoptée par le gouvernement qui reprend les défunts FONADER et Crédit Agricole
totalement inadaptés, mais que proposent-ils en échange?
Enfin, la troisième strate relève de la gestion, c’est-à-dire,
du bon choix des responsables et d’une bonne gouvernance interne de
l’entreprise. C’est essentiellement à ce niveau que la plupart des gens
limitent leur perception, mais s’il est nécessaire d’avoir de bons gestionnaires,
encore faut-il que le projet lui-même soit intrinsèquement viable, d’abord sur
le plan macroéconomique, ensuite sur le plan organique.
Propositions concrètes
Quoi qu’il en soit et sans s’attarder sur l’interminable litanie
des critiques, il est peut-être utile de se passer d’analyse plus élevée pour
montrer l’inanité d’un grand nombre de discours entretenus par l’ignorance
orgueilleuse et la solennité magistrale.
Une analyse objective montre qu’en Afrique, la croissance
est mécaniquement définie par la capacité autonome de financement
extérieur, c’est-à-dire, les ressources naturelles exploitables par rapport au
prix international, les recettes touristiques, les transferts de la diaspora et
les dons. Comme le montre le graphique suivant, ce facteur intervient pour 90%
dans la formation du revenu : c’est comme si le revenu en Afrique était une
note dans laquelle la capacité autonome était notée sur 90 et le reste sur 10.
Ce reste comprend la volonté des dirigeants, les sacrifices des populations, la
bonne gouvernance du FMI et de la Banque mondiale, la monnaie souveraine, les
Visions des pays émergents, les coopérations actives et bien d’autres bibelots.
Dans ce tableau, on voit bien, d’une part, que quel que soit le
pays, tout le monde évolue autour de cette ligne qui représente 90% du PIB ;
les losanges du tableau représentent les pays de le zone Franc et il apparaît
de manière claire qu’ils ne sont ni plus pénalisés, ni moins pénalisés que les
autres. L’action du FCFA est donc économiquement neutre. Maintenant, si on
compare le Cameroun à deux autres pays emblématiques comme le Ghana ou le
Kenya, on voit bien que tous les trois rodent autour de cette courbe, preuve
qu’ils sont comparables et que le discours sur les aptitudes des uns ou
l’incompétence des autres est une simple illusion.
Cela est valable pour tous les pays africains, sans exception :
la seule manière pour un pays africain de se développer est de tomber
fortuitement sur des gisements de pétrole, d’avoir un attrait touristique
exceptionnel, de bénéficier de la mansuétude des pays occidentaux ou d’avoir
une diaspora très active. Toutes choses en réalité qui ne dépendent guère des
politiques économiques nationales.
Ce verrouillage s’est exprimé au Cameroun au cours des années
1991-2010 par l’incapacité de déconnecter le PIB de la Capacité de Financement
Autonome. On le voit dans ce graphique : la courbe reliant les deux variables
suit un trend rigide et n’a pas les moyens de s’écarter de ce trend. Lorsque le
gouvernement fait l’effort de porter le PIB au-delà de la capacité autonome, la
courbe se pose au-dessus de la droite, mais elle se ramène brusquement
en-dessous quelques années plus tard, preuve que la tentative a échoué :
l’économie nationale tangue ainsi alternativement et de manière de plus en plus
explosive autour du trend, preuve qu’il y a de réels efforts pour relancer la
croissance, mais que ces efforts sont annulés par des forces puissantes et impossibles
à surmonter.
Cet arrimage rigide sur la Capacité Autonome de Financement
Extérieur n’est que la phase ultime de la grave maladie génétique avec laquelle
sont nées les économies africaines. La triste évolution du Cameroun l’illustre
: en 1960, la population est essentiellement rurale et ne consomme pas
grand-chose de l’étranger ; mais elle produit le cacao, le café et le coton qui
génèrent un immense volume de devises.
La consommation ne pèse pas sur la balance extérieure et, à
travers des mécanismes de ponction tels que l’ONCPB, l’État peut recycler ces
devises en investissements productifs. D’où un taux de croissance annuel
supérieur à 7% entre 1960 et 1987.
Malheureusement, ce développement crée lui-même son propre frein
: en multipliant les écoles et les unités administratives, il gonfle en même
temps le nombre d’intellectuels et la population urbaine, transformant ainsi
une population qui produisait essentiellement les devises en une nouvelle
population qui ne fait que les consommer. N’ayant pas pu ou su créer une
industrie locale d’import-substitution qui aurait pu réduire cette pression aux
achats extérieurs, le système productif s’est retrouvé totalement déséquilibré
: la confrontation entre une demande explosive des devises face à une offre peu
dynamique ne pouvait pousser le système productif que dans un déficit permanent
de la balance extérieure dont il lui est impossible de sortir.
A partir de ce moment-là, l’économie du Cameroun a changé
radicalement de nature : de son état initial de retard économique, appelé à
être résorbé à plus ou moins long terme, le pays a basculé dans un blocage
structural appelé « état occlus ». L’état occlus est une situation pathologique
particulière, liée à l’histoire particulière de l’Afrique et qui, parce qu’elle
ne se rencontre nulle part ailleurs, n’a jamais été envisagée par les écoles de
pensée et ne peut donc trouver de solution dans la théorie économique
traditionnelle : ni la gouvernance, ni les ajustements du FMI, ni les aides, ni
les stratégies, ni la démocratie, ni les théories de Keynes, de Marx ou de
Ricardo, rien, absolument rien de tout cela ne peut sortir un pays de cette
impasse. Quant à l’émergence, c’est beaucoup plus de l’ordre du rêve : le
Cameroun ne peut plus dépasser un taux de croissance de 3%, toute tentative
d’aller au-delà se traduisant automatiquement par un endettement explosif.
Si on a compris ce phénomène, on comprend mieux les
responsabilités respectives de nos deux présidents : Ahidjo a assez bien perçu
le problème, et a tenté de l’éviter en créant de toutes pièces une industrie
locale : dans les années 80, le Cameroun produisait en tout ou en partie des
vélos, des réfrigérateurs, des habits, des chaussures ; et sur le plan
alimentaire, il était autosuffisant. Malheureusement, ce début
d’industrialisation n’a pas eu le temps de murir définitivement et, à la faveur
de la crise, les occidentaux en ont profité pour éliminer cette dangereuse
tentative pour leurs marchés.
Biya s’est retrouvé obligé de relancer une croissance
impossible, et on ne peut décemment lui imputer la situation économique
actuelle du Cameroun. En fait, c’est de la pure démagogie que de croire que
quelqu’un d’autre aurait significativement modifié les choses. Certes, on
pourra toujours évoquer les défournements de fonds, mais comme on l’a vu,
ceux-ci n’agissent que sur le plan microéconomique.
Le problème du Cameroun apparaît donc davantage comme un
problème d’architecture : pour utiliser la jolie expression d’Hubert KAMGANG,
c’est comme un enfant né avec un cœur malade dont la pathologie se dévoile peu
à peu, indépendamment des conditions de vie et qui ne peut être soigné que s’il
est opéré. Ni Biya, ni ses opposants et encore moins sa bureaucratie, qui
réfléchissent comme lui, ne peuvent rien modifier à cet état de chose. Le
problème ici n’est pas dans leur compétence que personne ne leur refuse, mais
dans un formatage mental qui ne leur permet pas de comprendre que dans les
conditions actuelles, il n’existe aucun mécanisme humain capable de sortir le
Cameroun de la crise, à moins de tomber sur de gigantesques gisements de
pétrole ou alors, de soigner sa mauvaise articulation à l’économie
internationale.
Il ne sert absolument à rien d’élaborer des visions et des DSCE,
d’organiser des rencontres avec le privé, de décimer l’élite nationale par la
prison, d’initier des grands projets tant que ce problème de fond n’est pas
résolu.
Et c’est ici qu’il faut trouver la vraie culpabilité de Paul
Biya : en laissant développer une ambiance d’adoration pour sa personne, il
s’est en fait érigé en une sorte de Messie qui allait apporter la prospérité
par le simple fait de sa parole. La conséquence en a été un système fondé sur
le mouchardage, les réseaux, l’escroquerie intellectuelle et la flagornerie,
détruisant les capacités d’analyse du système qui auraient pu l’amener à réagir
de manière idoine devant les difficultés. Ahidjo n’était pas un grand
intellectuel, mais il respectait l’école et le débat : au moment où le pays
n’avait pas suffisamment d’intellectuels, le Cameroun entretenait des débats
économiques intenses et le pays disposait d’une capacité d’analyse qui lui
permettait de répondre aux divers défis. Mais le Président Biya n’a pu
s’entourer que d’une faune parasitaire et malhonnête, totalement incapable de
le conseiller réellement : les objectifs du chef de l’État ne sont plus des
orientations pour lesquels on doit mobiliser le savoir, ils sont devenus des
lois économiques ! Qui ne se rappelle l’hystérie qui avait saisi le Cameroun
avec le taux de croissance à deux chiffres ? Qui en parle encore ?
Quelle étrange ambiance au Cameroun, où on ne voit jamais les
économistes, c’est-à-dire, les gens qui savent comment l’économie fonctionne
prendre position. Mais plutôt des administrateurs civils, des professeurs de
lycée, des agronomes ou des journalistes qui parlent d’émergence, alors que les
économistes se taisent. Pourquoi ? Parce que les vrais économistes savent que
l’économie camerounaise est en danger de mort et qu’elle vit ses derniers
instants du fait des mauvais choix.
Cette substitution du savoir par la croyance a permis la prise
de contrôle de la gouvernance économique par une bureaucratie apatride se
réclamant du FMI et de la Banque mondiale. Le Cameroun est devenu un caniche
aux mains de ces individus, et il n’y a qu’à voir comment nos ministres et nos
directeurs se mobilisent pour les accueillir et comment le gouvernement se
satisfait de leurs opinions. Lamentable ! Ces fonctionnaires ne peuvent avoir
un salaire et des missions que si le Cameroun est en difficulté. La croissance
réelle du Cameroun qu’ils proclament est une très grave menace sur leur
gagne-pain ; et c’est placer le sort d’un malade entre les mains d’un
préparateur de pompes funèbres. On le verra d’ailleurs au lendemain de
l’atteinte du Point d’achèvement : alors que le FMI avait rempli pleinement sa
mission avec un Cameroun qui avait rétabli ses grands équilibres
macroéconomiques, voilà que six ans plus tard, le pays a repris une violente
chute vers une situation à la Grèce, avec un déficit effrayant dont on ne voit
pas comment on peut l’arrêter.
Qui sont les auteurs de
l’article ?
Mais, mieux que ces problèmes de fond, c’est la démarche des
auteurs de l’article qui traduit le vrai bilan du régime de Biya : un système
fondé sur l’hypocrisie, la trahison, les calculs secrets, les coteries
tribales, et la mauvaise foi. Si ces auteurs sont des cadres camerounais en
service dans les administrations publiques et occupent des fonctions qui
justifient leur anonymat, on devrait légitimement penser qu’ils participent
dans les missions du RDPC comme cela est de tradition au Cameroun, et qu’en plus,
il leur est souvent demandé leur opinion sur les grands choix de la république.
Car, il faut bien le dire, les hauts responsables du Cameroun ont le droit de
donner leur opinion sur des problèmes techniques et certaines positions ont été
réformées, voire réorientés à la suite des rares argumentaires convaincants
dont une minuscule poignée de ces cadres s’est montré capable. On sait que les
versions du DSCE et de la Vision qui justifient les grands Projets
avaient été mises en ligne pour que chaque camerounais puisse donner
librement son opinion. Un très grand nombre d’interventions et d’articles
venant de tous les milieux avaient été faits, mais à aucun moment, personne n’a
remis en cause le principe des grands projets!
On comprend donc mal quelles pouvaient être les motivations de
ces cadres en laissant passer un projet techniquement qu’ils savaient
techniquement erronés, alors même qu’ils avaient les moyens de le faire sans
compromettre leurs postes, quitte à utiliser l’anonymat : ils auraient alors été
utiles à ce moment-là.
De ce fait, il apparaît très peu probable que les auteurs soient
des cadres des administrations publiques. Il s’agit très probablement d’une
équipe de militants d’un parti d’opposition regroupant quelques cadres de
l’administration, quelques économistes de bureaux d’études et peut-être
quelques universitaires mus par un désir de déstabiliser le régime de Biya,
afin de le capturer le moment venu et créer un régime Biya 2 ou plus
exactement, Ahidjo 3.
Les cinq défis des
successeurs de M. Biya
Il s’agit là malheureusement des tentatives puériles de
s’attaquer au régime de Biya, qui, bien loin d’avoir les effets escomptés, ne
peuvent que convaincre davantage du peu d’intelligence de notre opposition.
Pourtant, on aurait été édifié, comme cela se passe dans tous les pays du
monde, de savoir quelle est la position des partis politiques du Cameroun
vis-à-vis des grands projets, ce qui aurait constitué un véritable débat
national capable de convaincre de la capacité des uns et des autres à gérer le
pays. Et plutôt que de se focaliser sur Biya qui, quel que soit par ailleurs
son désir de s’éterniser au pouvoir, ne peut plus le faire à 80 ans. Nous
aurions été intéressés de savoir comment les prétendants vont aborder les cinq
(5) principaux défis auxquels le Cameroun est confronté, à savoir :
-Une véritable relance économique, marquée par un
approfondissement du système productif, le respect des équilibres
macroéconomiques et l’amélioration des conditions de vie de la population ;
-La cohabitation communautaire, avec des règles claires de
partage des ressources nationales entre diverses communautés, et notamment, un
équilibre judicieux et cohérent entre les aptitudes des citoyens et la
représentativité régionale ;
-Une démocratie plus conforme à la sociologie camerounaise et
tournée vers le développement, loin de cette singerie permanente marquée par le
bavardage et l’oisiveté, coûteuse et se signalant par le soupçon systématique,
de stériles réformes récurrentes, le mimétisme, l’expression du tribalisme, la
contestation et le dévoiement des statistiques.
-Une administration active et au service du développement, et
non cet appareil oisif, impotent et corrompu, traversé des réseaux
d’allégeance et se nourrissant de la haine de la compétence ;
-Une autonomie intellectuelle, avec des citoyens capables de
réfléchir par eux-mêmes, sans avoir besoin d’être soufflés par le FMI et
réciter Keynes ou Schumpeter, n’ayant aucun besoin de renforcement des
capacités des « experts internationaux », et autres procédures
d’infantilisation permanente.
Voilà les cinq défis auxquels doit répondre le successeur de
Biya et non son départ, car s’il y a unanimité sur la nécessité de son départ,
on peut craindre que cette hostilité généralisée à un homme ne
s’accompagne d’aucun consensus sur l’après-Biya. Le tout n’est pas de déclarer
qu’on est capable de diriger le Cameroun : encore faut-il être en mesure
d’entrer à Etoudi sans être poignardé par un rival et sans avoir égorgé ses
rivaux. Le Cameroun est assis sur un volcan et ce n’est pas le charabia sur des
concepts vaseux comme la « maturité du peuple camerounais » qui modifiera cet
état de chose. Tout le monde souhaite que la transition soit pacifique, mais on
sait bien que c’est chacun qui espère capturer le pouvoir d’État au bénéfice de
sa communauté : les betis espèrent le conserver. Les nordistes attendent que le
pouvoir leur revienne. Les bamiléké évoquent leur présence économique pour
justifier leur présence au Palais de l’Unité. Les Anglophones disent que
cinquante ans de pouvoir francophone, c’est trop. Il n’y a pas jusqu’aux basa
qui réclament le pouvoir pour avoir payé un lourd tribut lors de
l’indépendance. Et dans cette ambiance de combat sournois, chacun surveille
l’autre, avec un poignard bien aiguisé pour l’égorger le moment venu.
C’est cette ambiance qui est très dangereuse et non pas Biya qui
a fait son temps. Et ce qu’on attend, ce n’est pas cette antienne sur son
échec, mais des potentiels candidats à son remplacement et qui se
signalent maintenant par des propositions concrètes aux problèmes du pays. De
manière à ce que, le moment venu, chaque camerounais puisse dire : « ok, si ce
n’est pas mon frère, autant remettre le pouvoir au grand Esso ».
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