A M. Parfait Siki du
journal Repères,
Objet : En réaction à votre article intitulé "Institutions : Pour comprendre l’affaire des titres de Camtel" du 28/11/2012
Objet : En réaction à votre article intitulé "Institutions : Pour comprendre l’affaire des titres de Camtel" du 28/11/2012
Le
souci pédagogique qui a présidé à la rédaction de votre article est à saluer et
à encourager car le vocabulaire financier n’est pas la chose la mieux partagée
parmi tous ceux qui émettent des avis au sujet de cette controverse. Il
apparaît pourtant que cet effort de clarification des termes du débat est gâché
par la conclusion que vous tirez en guise de bilan ; à savoir qu’il peut
être reproché à Frank Biya un manquement à l’éthique politique mais rien de ce
lui est reproché n’est recevable du point de vue du droit.
Cette
tentative de dédouanement de Frank Biya est superflue. Tout d’abord, jusqu’à
preuve du contraire, Frank Biya n’est pas un homme politique ; son père
l’est sans doute mais pas lui. Ensuite du point de vue de la justice
camerounaise tenue par son père, il ne risque rien. Par contre, si les faits
allégués étaient commis dans un pays normal où la justice est indépendante du
pouvoir politique, Frank Biya devrait au minimum s’expliquer pour des
faits de trafic d’influence, de délit d’initié, de détournement de biens
publics et de corruption en bande organisée.
Certes,
votre article pourrait être plus précis au niveau des dates et des chiffres en
ce qui concerne le nombre de titres et des montants engagés. Toutefois il
permet d’identifier les acteurs en scène et le rôle joué par chacun d’eux. Les
opérations que vous expliquez font apparaître 3 acteurs : l’Etat, les
entreprises publiques et les investisseurs.
Un
Etat endetté, représenté par le ministre des finances, qui a du mal à faire
face à ses engagements vis-à-vis de ses créanciers qui décide de titriser sa
dette sous forme de zéro-coupons rappelable, c’est-à-dire pouvant être payé
avant l’échéance.
Dans
un second temps apparaissent les entreprises publiques créancières de l’Etat
qui se voient imposées par leur débiteur une renégociation de leurs créances
selon le mécanisme précédemment décrit. Celles-ci n’ont d’ailleurs aucune marge
de manœuvre dans ce qui leur est demandé car leur principal actionnaire est
l’Etat. Cette particularité permet de mettre en évidence la confusion qu’on
peut faire de l’Etat et de ces entreprises publiques.
Les
entreprises publiques, qui ont donc accordé des prêts à leur principal
actionnaire qui fait défaut au moment d’honorer ses engagements, sont
confrontées à des tensions de trésorerie et de besoins de financement. Elles
font donc appel aux troisièmes acteurs qui sont les investisseurs privés.
Les
investisseurs privés qui interviennent sont de deux types selon le moment
où ils apparaissent dans le cours des évènements. Les investisseurs
institutionnels du secteur financier (banques, société d’assurance, entreprises
financières) interviennent dans un premier temps et acquièrent les obligations
émises par l’Etat auprès de ses créanciers sur le marché secondaire (dont la
transparence n’est pas la qualité première).
C’est
d’ailleurs leur métier de chercher et saisir toutes les opportunités d’affaires
profitables qui s’offrent sur le marché le plus souvent en prenant des risques
avec leurs portefeuilles financiers. Elles parviennent après des transactions à
détenir des titres à des coûts qu’on peut juger à postériori très avantageux.
Dans
un second temps nous avons d’autres investisseurs privés, entreprises non
connues sur le marché financier et de capitaux et dont la raison sociale ne
peut se rapprocher de ce secteur. Elles interviennent non sur le marché
secondaire des obligations d’Etat, mais auprès des créanciers de celui-ci sur
lesquels elles exercent des pressions dans le but d’obtenir (ou de racheter si
l’on veut) les obligations cédées sur le marché secondaire.
Une
fois qu’elles ont obtenues les titres, elles entrent en négociation directe
avec l’émetteur de ceux-ci et finalement parviennent à trouver un accord de
cession des titres à l’Etat-émetteur en ramassant au passage un bénéfice
faramineux.
Pour
sortir du cadre purement théorique et fixer les idées à ce qui est
reproché à Frank Biya, on peut faire le résumé suivant :
1. L’Etat émet des titres dans le cadre de la renégociation de sa dette avec la Camtel
1. L’Etat émet des titres dans le cadre de la renégociation de sa dette avec la Camtel
2.
La Camtel vend ses titres de créance à la SFA (société financière) d’Yves
Michel Fotso
3.
Frank Biya par le truchement de ses entreprises Afrione et Ingénierie
Forestière exerce des pressions sur la Camtel pour racheter les titres détenus
par SFA et finalement obtient gain de cause
4.
Frank Biya rentre en négociation de gré à gré avec l’Etat à qui il cède
au final ses titres contre une plus-value importante.
La
légitimité de l’opération de titrisation de la dette de l’Etat ne semble pas
questionnable ; ce qui le serait dans un pays normal c’est le débat
de la légalité d’une telle décision : est-ce que la théorie du fait du
prince ou l’impératif de la continuité du service public justifie que l’Etat
décide d’autorité de titriser sa dette dont il n’arrive plus à honorer les
échéances ? Cet aspect du problème ne semble toutefois pas le plus
déterminant pour la compréhension des faits en question. De même, et sans
préjuger de l’existence ou non d’actes délictueux commis, les conditions
d’acquisition des titres auprès de la Camtel par les investisseurs à des coûts
relativement faibles sont périphériques.
Reste
à questionner et tenter d’expliquer le rôle et les agissements de Frank Biya
lors du déroulement de toutes ces affaires. En effet, réussir à agrandir son patrimoine
de 3 milliards en moins de 6 mois est une prouesse qui mérite d’être saluée si
toutes les règles juridiques et éthiques ont été respectées ; et
sévèrement punie si elle relève de l’escroquerie, de la corruption ou du
détournement fonds publics ou de l’abus de biens sociaux.
Le
premier élément frappant de l’attitude de Frank Biya dans le déroulement des
faits est son assurance. Sans poste officiel au sein de la Camtel ou de l’Etat,
il n’a aucune crainte à successivement faire pression sur la Camtel pour
récupérer les titres détenus par la SFA, sur cette dernière pour qu’elle se
soumette aux injonctions de la Camtel et signifier à la CAA la mutation en sa
faveur de propriété des titres et enfin sur le ministre des finances pour
racheter au nom de l’Etat les titres détenus à 2 fois la valeur d’achat. Et ça
marche. Tous ceux sur qui les pressions sont exercées obéissent aux injonctions
et donnent satisfaction à Frank Biya.
Cette
façon d’agir est caractéristique du trafic d’influence dans la mesure où personne
ne pourrait s’imaginer Frank Biya pourrait agir de la sorte s’il ne se
prévalait de la qualité de fils du président de république ; c’est-à dire
du roi du Cameroun et qu’en tant que prince, il parle au nom d’un père dont un
seul mot peut transformer le reste de la vie de n’importe quel de ses sujets en
enfer permanent ; les anciennes pontes du régimes actuellement en prison
pouvant servir d’exemples probants.
Cette
assurance permet de conjecturer que dès le début de l’opération, Frank Biya
sait pertinemment où il pose ses pions et le but de la manœuvre est de
d’empocher les milliards qu’il obtient à la fin. Le contraire est très
improbable. Comment imaginer que cet entrepreneur, qui nous est présenté comme
avisé par Fame Ndongo, de la foresterie se prête au jeu risqué de créer de
toute pièce et dans l’urgence une structure financière (Afrione) ; d’en
faire supporter le risque financier à hauteur de plusieurs milliards pour une
affaire purement financière par son autre entreprise dont l’activité de
portage financier n’est certainement pas le cœur de métier ; de réussir
son opération financière et se retirer avec ses milliards de bénéfices.
Une
telle opération si elle échoue est susceptible de valoir à celui qui l’a tentée
des poursuites pour abus de confiance et de biens sociaux de la part des
actionnaires d’Ingénierie Forestière et du ministère public ; mais Frank
Biya sait que cette opération ne peut échouer et qu’il ne risque rien sur le
plan financier ou judiciaire.
De
deux choses l’une : soit Frank Biya sait avant tout le monde que l’Etat
souhaite racheter une partie des titres Camtel et il use de son influence pour
entrer en possession de ceux-ci de sorte à les revendre à l’Etat ; soit il
a été décidé dans la haute hiérarchie de l’Etat d’organiser cette
opération de prédation avec les concours de responsables gouvernementaux
et au sein d’entreprises publiques dans le but de se partager entre les
membres du clan les montants en question.
Dans
un pays normal, aucun des deux scénarii ne serait crédible, mais comme l’a dit
un Camerounais célèbre par sa fonction et sa longévité à la tête de
l’état : « le Cameroun c’est le Cameroun », c’est dire-à dire le
pays où le pire est possible. En toute hypothèse, Frank Biya doit répondre soit
des faits de détournement de biens publics et de corruption en bande
organisée ou soit de délit d’initié soit des trois.
De
plus, le ministre des finances Abah Abah doit clarifier le rôle qu’il joue dans
cette opération et éclairer l’opinion à qui il doit en définitive des comptes ;
se murer dans le silence est contre-productif à la fois aux yeux de l’opinion
publique et de ses anciens amis du pouvoir ; Titus Edzoa peut en
témoigner.
Le peuple
Camerounais est en droit de savoir comment et pourquoi l’Etat a pu s’engager
dans une négociation financière de gré à gré avec un particulier (fut-il le
fils du président de la république) avec au final un manque à gagner qui se
chiffre en milliard pour celui-ci. De même, la Camtel doit fournir les
explications sur les raisons qui l’ont conduit à rentrer dans ce jeu qui permet
au final à des individus de consolider leur patrimoine financier sans aucune
contrepartie pour elle-même.
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