POINT DE VUE:
LE CAMEROUN À PAS DE SÉNATEURS VERS LA RESQUILLE POLITIQUE : MOTION DE CENSURE D’UNE ÉCONOMIE POLITIQUE DE LA MISÈRE
Le Président de la
république a démontré le niveau de destruction de l’espoir démocratique
camerounais en se présentant comme un distributeur automatique de billets de
banques aux grands électeurs, un distributeur automatique de votes à ses
opposants politique en déroute, et un distributeur automatique de prolongations
de mandats à des conseillers municipaux qui ne représentent plus personne au
Cameroun mais choisissent encore les sénateurs du pays.
Alors
que la motion de censure d’une politique et d’un gouvernement doit relever d’un
élu du peuple, d’une assemblée nationale ou d’un parti politique dans le but de
ramener à l’ordre un régime à la dérive, nous en livrons ici une version
inédite parce que citoyenne. Ce qui se passe au sein de l’échiquier politique
du triangle national l’exige. Le Cameroun vit sous un ordre de l’extraordinaire
devenu ordinaire par accoutumance au concept circulaire et autoréférentiel « le
Cameroun c’est le Cameroun ». Concept-marketing qui cautionne et normalise la
misère morale, la misère politique, la misère intellectuelle, la misère
économique et la misère sociale du peuple. Celui-ci est mis sciemment dans ces
conditions de carences Multi
Ainsi,
les sénatoriales, fraude politique de grande envergure, font l’actualité
politique camerounaise et sont cautionnées par une classe politique nationale
installée dans un registre politique où ce sont moins des combats pour des
valeurs démocratiques pérennes qu’il faut mener que ceux immédiats pour la
conquête des postes et le prestige personnel inhérent. En conséquence,
intellectuels organiques, opposants, députés et autres élus aux mandats
désormais désuets ont perdu l’usage de leur langue devant l’attrait des juteux
postes de sénateurs promis par le Renouveau National. Cela est une preuve
supplémentaire, même si nous le savions déjà, que seule la jouissance ici et
maintenant des privilèges du pouvoir, seuls les intérêts individuels comptent
même s’ils sont satisfaits en clouant la souveraineté populaire au pilori.
Il
est donc des moments où le cri d’écœurement d’un citoyen lambda vaut la peine
d’être poussé même dans le flegme sidérant d’un champ politique national où le
silence assourdissant des politiciens professionnels et des intellectuels
organiques s’apparente à celui triste et sans appel des cimetières. Une parole,
qu’elle relève du secret des dieux, de la solennité d’un hémicycle ou des
artères de la souffrance ambiante d’un bidonville est utile. Elle l’est
d’autant plus qu’à pas de sénateurs, notre pays va sûrement, non seulement vers
une liturgie politique aux airs d’un requiem de l’idéal démocratique, mais
aussi s’installe sans vergogne dans la resquille politique comme paradigme
indépassable de sa gouvernance depuis 1960.
Notre
pays le Cameroun est-il encore différent d’un cimetière politique une fois que,
sans rechigner et d’un pas alerte tels des moutons de panurge, des acteurs
politiques d’opposition le traînent vers l’abattoir de l’idéal démocratique en
cautionnant le jeu à sommes négatives que Paul Biya met en place depuis 1982 ?
Comment expliquer l’atonie et la torpeur du champ sociopolitique camerounais et
de ses acteurs à l’annonce d’une élection illégitime de sénateurs, si ce n’est
par la conjecture d’une anesthésie généralisée qui frappe le pays tout entier
et dont la substance anesthésiante est le Biyaïsme et son clientélisme
légendaire ? L’heure est grave car force est de reconnaître que la manipulation
politique du Renouveau National a fonctionné depuis 32 ans parce que ce régime
a en face de lui une opposition dont les atermoiements et les agissements
fortement intéressés et individualistes prouvent qu’elle est le complément à
l’unité du Biyaïsme. Elle est l’autre face d’une même pièce de monnaie, l’autre
branche d’une même paire de ciseaux qui sectionne veine aorte, veine cave,
oreillettes, valves et ventricules transportant le sang qui devrait irriguer le
cœur politique d’un pays, son peuple. Le tango démocratique que danse le pays
depuis 1982 ne peut être aussi parfait que si cette danse se fait à deux sous
une orchestration politique où le pouvoir et ses opposants officiels trouvent
leur compte dans un concert sans fausses notes qui seraient une vraie
opposition.
Notre
pays le Cameroun semble donc, après 32 ans d’un pouvoir sans partage, fatigué
de poursuivre la démocratie comme un mirage. Il semble jeter l’éponge via la
reddition de ses acteurs politiques, de certains de ses intellectuels et de ses
figures de proue d’une opposition tant en syncope d’idées neuves et de
stratégies organisationnelles gagnantes, qu’émasculée par le rouleau
compresseur du Renouveau National. Face à un Président qui persiste et signe
dans la médiocrité en se prenant pour la fin de l’histoire en lieu et place du
moyen qu’il devrait être, le Cameroun est-il en train d’agiter le drapeau blanc
d’une cessation de feu ? Sommes-nous en train de déposer les armes du combat
démocratique en acceptant que le Biyaïsme installe complètement le triangle
national dans le registre de la roublardise et de la délinquance politiques ?
Nous y répondons par la négative en opposant cette motion de censure citoyenne
à la gouvernance du Renouveau National depuis 32 ans.
Nous
disons c’est assez et plus qu’assez à une économie politique de la misère.
C'est-à-dire à un système politico-économique dont le fourvoiement incarné par
le détournement du constitutionnel, de l’économique, du politique, de
l’institutionnel, de l’Etat et du social est tout simplement honteux et indigne
de la prospérité collective que peut produire le Cameroun pour son
développement économique, social et politique. Notre rôle de citoyen est aussi
d’interroger l’illégalité politique, éthique et sociologique de ce que le
régime présente comme légal par des lois taillées sur mesure pour sa pérennité.
Le légal ne se construit pas dans son palais par éviction de la volonté
populaire mais via des débats publics débouchant sur des consensus sociétaux
sanctionnés par des institutions impartiales.
*
Sénatoriales, dernier épisode d’une logique d’ensemble de resquille politique
depuis 1982
Ce
qui distingue l’homme des hordes sauvages de chimpanzés est qu’il est capable
de parole et de conceptualisation en vue d’une imagination institutionnelle,
politique et économique au service de l’amélioration cumulative de son
bien-être. L’innovation politique, institutionnelle, constitutionnelle et
économique est donc un moyen via lequel une société passe de la médiocrité à
l’excellence organisationnelle de ses conditions de vie. Sous cet angle, le
drame camerounais, et les sénatoriales le confirment, est que l’institutionnel,
le politique, le constitutionnel et l’économique sont dans une évolution à
rebours des civilités politiques modernes. Ils servent moins à l’amélioration
de la vie globale de la société qu’à l’instauration durable des privilèges
d’une élite dirigeante qui cadenasse l’agenda politique par la resquille
électorale et shunte ainsi la mobilité sociopolitique. Le constat est donc
calamiteux car le Cameroun, pays aux multiples ressources humaines et minières
est moins dans une voie de civilisation de ses mœurs politiques et civiques que
dans une phase de leur ensauvagement durable. Notre Etat et ceux qui l’ont
dirigé depuis 1960 n’ont pas domestiqué les pulsions de mort. Ils ont plutôt,
en poursuivant leurs utopies personnelles, ouvert les vannes des égoïsmes
animaux qui font du Cameroun un pays où la souveraineté du peuple est lynchée
publiquement sur l’autel de la libération des pulsions libidinales par une
classe politique orientée uniquement vers ce que dit son ventre, celui de sa
famille ou de son clan. Dès lors, et les sénatoriales le prouvent bien,
l’approche ventriloque du peuple camerounais triomphe. Ce peuple ne parle pas,
il ne dit mot car c’est la motion de soutien du ministre, du directeur et de
l’intellectuel organique qui parlent pour lui en le poussant à la lisière du
champ politique. Il devient la marionnette d’un jeu orchestré par des
marionnettistes dont on entend la voix quand leurs mains gantés miment l’ouverture
de la bouche du peuple camerounais. Bouche de laquelle aucun son réel et
authentique ne sort car c’est un peuple assimilé à un ensemble de « créatures »
qui doivent écouter sans broncher le « créateur ».
Les
sénatoriales sont de cet acabit politique car les sénateurs nommés par un
Président camerounais issu d’un scrutin à la légitimité populaire inférieure à
la légitimité institutionnelle, et choisis par des élus camerounais aux mandats
obsolètes, le sont, non pour apporter une valeur ajoutée à la vie d’un peuple,
mais pour continuer à maîtriser l’agenda politique et son timing en mettant
entre parenthèses la voix du pays réel. Sans ambitions historiques au-delà des
contours des privilèges personnels, le politique, l’institutionnel, le
constitutionnel et l’économique jouent petits bras face aux défis de vie bonne
d’un peuple. Le drame camerounais et la misère sociétale qui en découle est que
la tripartite des années nonante, la révision constitutionnelle de 1996, la
révision constitutionnelle de 2008, Elecam, toutes les élections
présidentielles, les municipales, les législatives successives depuis 1982 et
maintenant les sénatoriales ne changent rien dans la vie des populations
camerounaises mais concourent uniquement à bétonner les fondations du Renouveau
National et de sa reproduction sui generis. L’Homme du 6 novembre 1982 a ainsi
installé la figure du resquilleur politique comme la figure gagnante de l’homme
politique camerounais via un Biyaïsme qui fonctionne à plein régime lorsqu’il
fonctionne à vide, c'est-à-dire lorsque le constitutionnel, le politique et
l’institutionnel sont de purs instruments de manipulation de l’agenda politique
pour mieux en combler le vide de résultats concrets par maîtrise des séquences
cruciales de l’évolution future du pays. L’ensauvagement des mœurs où cela
place le pays est donc le résultat d’une dynamique politique où le jeu à sommes
négatives caractérise le fait que le peuple camerounais perd automatiquement ce
que Biya et ses opposants gagnent dans un champ politique privatisé par un
ping-pong RDPC/opposition famélique où les Camerounais n’ont rien d’autre à
faire que de suivre des yeux la petite balle jaune de gauche à droite.
Considérant ce qui
précède, nous pensons qu’il faut très vite sortir le pays de ce fourvoiement
civilisationnel. Le problème ici n’est pas la participation des opposants au
pouvoir- cela se fait partout dans le monde- il est de retrouver, à l’instar de
l’opposition sénégalaise face à Abdoulaye Wade, une stratégie oppositionnelle
crédible et consciente, tant de sa responsabilité dans l’avenir du pays, que
des enjeux de refondation de l’esprit républicain. La question n’est pas
d’éviter la poursuite d’intérêts individuels présents dans toutes stratégies
politiques. Elle est de ne pas reléguer au second plan des valeurs communes dès
l’instant que le pouvoir brandit le poste alléchant comme appât pour prouver
que l’opposition camerounaise n’est qu’alimentaire. A titre d’exemple, la
déperdition et la dislocation consommées de l’UPC dont aucun bureau directeur
ne peut exister au plan national alors que chaque faction présente des listes
aux sénatoriales suite à des divisions identiques à elles-mêmes d’années en
années, sont les preuves d’une classe politique camerounaise qui, à défaut
d’être maudite par on ne sait quel génie maléfique, prend son pied en se
sabordant. A ce rythme, celui qui succédera à Biya à la tête de l’Etat
camerounais est aussi parti pour au moins quarante ans de pouvoir car tous les
ingrédients sont réunis pour que la dictature s’installe durablement au
Cameroun : peuple docile et contemplateur, opposition-épouvantail, armée
collaboratrice et élite dirigeante ne cherchant qu’à satisfaire les plaisirs de
ses orifices.
*
Le Cameroun à l’heure politique du distributeur automatique
La
dictature camerounaise est désormais au zénith de sa performance. Celle-ci ne
se matérialise plus par le nombre d’années (32) mis au pouvoir et les
malversations impunies de ses leaders. Dire 32 ans de pouvoir pour le Renouveau
National est devenu anecdotique devant ce que démontrent les sénatoriales comme
maturation du penchant dictatorial du régime camerounais. Il semble, si nous
prenons l’image d’un distributeur automatique, que notre pays soit désormais au
stade suprême de la dictature matérialisé par un Verbe Total qui fait du
Président de la république un distributeur automatique d’argent comptant et de
votes à tout le monde y compris à ceux qui se présentent comme ses adversaires
politiques : des voix en veux-tu ? En voilà ! « Qui veut gagner des voix ? »
est le nouveau jeu de la scène politique camerounaise.
La
concentration du pouvoir et l’annihilation de tout espoir démocratique par une
volonté morbide d’être « le seul et unique caïman du marigot camerounais » a
été mise en évidence par les sénatoriales. Le Président de la république a
démontré le niveau de destruction de l’espoir démocratique camerounais en se
présentant comme un distributeur automatique de billets de banques aux
militants et grands électeurs, un distributeur automatique de votes à ses
opposants politique en déroute et un distributeur automatique des prolongations
de mandats à des conseillers municipaux qui ne représentent plus personne en
dehors de Paul Biya mais choisissent encore les sénateurs du pays. La leçon est
claire : il faut démontrer aux pseudo-opposants qu’ils ne représentent rien
dans leurs supposés fiefs et que seul Paul Biya fait d’eux ce qu’ils sont. Le
Prince peut même les ressusciter politiquement de la défaite en les nommant
sénateur pour mieux les enterrer politiquement. Cela se concrétise par le fait
de demander aux militants du RDPC de voter pour le SDF en confirmant ainsi
qu’il est le seul et unique propriétaire de tous les votes des camerounais du
RDPC et des partis d’opposition. Dans la mesure où la concentration de tous les
pouvoirs fait courir au régime le risque politique de ne plus être capable de
profiter des dividendes politiques de l’illusion démocratique dans un Sénat à
100 % RDPC, la dictature est actuellement obligée d’assurer sa survie par
redistribution automatique de suffrages à ses opposants politiques. Le mauvais
génie construit par la concentration de tous les pouvoirs est ainsi en train
d’échapper à son géniteur et créateur en démontrant que continuer à pousser le
bouton dictatorial revient à détruire l’illusion de diversité et de pluralité
démocratiques au sein des institutions nationales. La problématique qui se
présente aux générations futures est celle de chercher comment remettre en
route le processus démocratique lorsque le régime en place au Cameroun est
devenu un distributeur automatique d’argent, de peines de prisons, de
prolongations de mandats et des votes des Camerounais. Il faut imaginer comment
réinstaller l’idéal démocratique lorsque les votes des Camerounais qui
devraient être secrets, non aliénables et discrétionnaires sont devenus la
propriété privée d’un individu qui les vend de gré à gré quand ce n’est pas à
la criée via la propagande du parti au pouvoir. Comment reconstruire les bases
démocratiques populaires lorsqu’au lieu de donner la parole au peuple, le
Prince incarne une Parole qui s’érige en Verbe Total et met le peuple sous
éteignoir en lui reprenant ladite parole ? C’est de bonne guerre diront les
concepteurs et adeptes du machiavélisme politique. Mais est-ce cela que nous devons
construire dans un Cameroun qui se veut émergent en 2035 ? L’émergence du
Cameroun en 2035 se décline-t-elle uniquement en un ensemble de ponts, de
ports, de routes, d’industries et de premières pierres sans émergence durable
des libertés individuelles et collectives ?
Notre peuple est au
stade où, en dehors de la motion de soutien comme argument performant de son
approche ventriloque, son vote est désormais une pièce du puzzle du jeu à
sommes négatives mis en place par le Renouveau National depuis 1982. Non
seulement c’est le régime qui décide secrètement de la date des scrutins, mais
aussi c’est lui qui distribue les votes des Camerounais à qui il veut afin
d’entretenir l’illusion démocratique par l’existence de sénateurs dits de
l’opposition. Nous soutenons qu’une telle situation est le signe avancé d’une
putréfaction des référents démocratiques dans notre pays. Le pays ne peut en
sortir qu’en renouant avec le respect de la citoyenneté politique de son peuple
par la garantie du caractère secret, discrétionnaire et non aliénable de ses
choix politiques. Cela est urgent car les sénatoriales démontrent que le
Cameroun n’a plus d’opposition mais un seul parti, le parti unique au pouvoir
dont les partis et leaders d’opposition sont des antennes nationales chargées
de faire jouer l’illusion démocratique. Nous devons combattre avec la dernière
énergie cette économie politique de la misère morale et de la misère
démocratique. Nous devons sortir le pays de l’âge politique d’un mode de
gouvernance s’incarnant comme une distribution automatique de votes, de billets
de banque, de sanctions pénales, de postes étatiques et de prolongation de
mandats désuets. L’échiquier politique camerounais doit sortir de l’image
mortifère d’un distributeur automatique au centre d’un cimetière politique
national où, zombifiés, peuples et leaders d’opposition rament vers le
distributeur automatique duquel sortent tantôt des révisions
constitutionnelles, tantôt des tirs à balles réelles sur les manifestants,
tantôt des promesses de « grandes réalisations », tantôt des sanctions
politiques via l’Opération Épervier tantôt des votes en faveur de l’opposition
et tantôt des billets de banques à destination des ventres affamés qui doivent
bien avoir une oreille. Dans pareilles circonstances, c’est un statut de «
marionnette » qui échoit au peuple camerounais, il croit se mouvoir mais il est
mu par le distributeur automatique.
*
Jeunes et « benskineurs » : acteurs performants d’une nouvelle économie
politique de la misère
La
grande balafre qui segmente le peuple camerounais en très riches dont les
montagnes d’argent titillent les anges du ciel, et en très pauvres dont les
besoins atteignent les profondeurs abyssales, défigure à la fois le visage du
pays tout en constituant l’estampille politique d’un régime désormais expert en
corrosion des espoirs par flétrissure du rêve d’émancipation des tutelles
internes et externes. L’économie politique de la misère dont nous parlons n’a
donc pas qu’un versant politique, institutionnel et constitutionnel. Son
versant économique et social est de plus en plus prégnant ces derniers temps où
le discours de la domination semble redécouvrir le peuple camerounais. Le
renforcement du divorce entre le discours et la pratique se poursuit en effet
depuis la dernière fête nationale de la jeunesse où la jeunesse camerounaise,
le chômeur et les « benskineurs » ont été portés au pinacle par l’homme fort de
Yaoundé : ce sont les nouveaux acteurs performants d’une économie politique de
la misère. Conscient, à défaut d’une jacquerie paysanne, que la jeunesse, les
chômeurs et les « benskineurs » sont sûrement ceux dont le soulèvement peut
ébranler le pouvoir de Yaoundé, le discours du Biyaïsme fait semblant de
s’occuper de leur sort dans une stratégie d’annihilation de possibles révoltes
populaires. Il est ainsi né, via le dernier discours de Paul Biya à la jeunesse
camerounaise, une analyse inédite des causes du chômage et de la souffrance
sociale y efférente.
Les
économistes ont certainement découvert en lisant le discours du Président
camerounais à la jeunesse que le nouveau paramètre explicatif du chômage des
jeunes au Cameroun a pour nom : « la force des choses ! ».
Selon
Paul Biya les jeunes camerounais sont massivement chômage et deviennent
majoritairement « benskineurs », non à cause des politiques menées par le
Renouveau National depuis 1982, non à cause des crises économiques, mais à
cause de « la force des choses ». Dès lors ce n’est pas contre le pouvoir qu’il
faut se plaindre lorsqu’on est au chômage mais contre « la force des choses »,
mystérieuse entité qui prouve que le Biyaïsme ne sert finalement à rien pour
les jeunes, étant donné qu’il n’aurait pas existé que « la force des choses »
aurait quand même frappé les jeunes camerounais. Cette « force des choses »,
une fois qu’on jette un regard sur l’âge moyen des différents gouvernements de
Biya depuis 32 ans, semble être la préférence gérontocratique de son pouvoir
car plusieurs ministres nommés étaient déjà aux affaires alors que plusieurs
jeunes camerounais de quarante ans étaient encore à l’école primaire ou au
jardin d’enfants. On comprend mieux d’où viennent les choses et leur force.
En
outre, alors qu’ils ont été depuis longtemps méprisés et réprimés violemment,
les « benskineurs », via un logos qui redécouvre le peuple et ses pratiques
pour mieux les domestiquer, tiennent à nouveau le haut du pavé. Ils ne sont
plus les forces du désordre à mettre en ordre par les forces de l’ordre. Ils
sont désormais de jeunes camerounais dignes et responsables de leurs familles. Dans
cette stratégie de récupération et de division, « la force de choses » devient
automatiquement celle du pouvoir en place car celui-ci se rend subitement
compte qu’il peut exiger des casques aux mototaxis et à leurs passagers, qu’il
peut organiser la formation des « benskineurs » au code de la route et autres
civilités du trafic. Cela prouve que l’économie politique de la misère ne
reconnaît l’utilité sociétale des « benskineurs » que lorsque le pouvoir veut
en faire un allié en divisant cette corporation de l’intérieur par la
production d’un discours favorable sur eux. Une fois de plus ce n’est pas le
pauvre, la jeunesse, le chômeur et le « benskineur » qui parlent de leurs
situations. C’est le pouvoir qui en parle, les met en forme politique et les vide
de leur authenticité comportementale. Le Cameroun est-il à ce point au taquet
pour promouvoir le « benskin» comme statut d’avenir de sa jeunesse ?
Considérant
le sacrifice inadmissible de la jeunesse camerounaises et le discours creux et
politicien qui l’entérine, nous soulignons la faillite d’un pouvoir qui passe
de la jeunesse comme « fer de lance » du pays à la jeunesse camerounaise
exaltée dans son activité de « benskineurs » en remettant la responsabilité de l’Etat
et de ses dirigeants à « la force des choses », mystérieuse entité non
localisée et non désignée concrètement.
Il
n’est donc pas surprenant que la dimension économique du divorce entre le
discours et la pratique prenne la forme d’un grand écart sémantique entre le
libéralisme communautaire et l’émergence économique du Cameroun en 2035.
Comment passe-t-on allègrement et sans transition du libéralisme communautaire
à l’émergence économique, deux paradigmes de développement qui n’ont aucun lien
idéologique, paramétrique et instrumental entre eux si ce n’est pas pure
mystification verbale via un discours qui compte profiter des effets d’aubaines
que la conjoncture internationale place en l’émergence économique ?
Nous
soulignons ici non seulement l’absence de cohérence entre le libéralisme
communautaire de départ et l’émergence économique actuelle, mais aussi la
mystification de ce passage en l’absence d’explications crédibles du pourquoi
et du sous-bassement instrumental mis en place pour réaliser l’émergence
économique du Cameroun en 2035 sans avoir réalisé un seul point du libéralisme
communautaire depuis 32 ans de pouvoir.
*
Des fondamentaux de l’Opération Épervier au-delà de la surface des choses
L’ensauvagement
profond et durable dont nous parlons des mœurs et de la pratique politique au
Cameroun est aussi la logique générale qui explique l’Opération Épervier et les
faits dont elle traite. Pour peu qu’on accepte de sortir de l’anorexie
analytique des simples d’esprits, il est évident que le premier détournement
dont souffre le Cameroun est le détournement de l’esprit républicain par le
Renouveau National. Les Camerounais transforment l’Etat en canal d’accumulation
individuel au détriment de l’intérêt général parce que, sans Etat-providence,
sans gouvernance exemplaire, c’est l’accumulation individuelle qui joue le rôle
d’assurance vie des uns et des autres dans une jungle où c’est celui qui
possède qui fait la loi à la place des droits et devoirs du citoyen. Les
espèces sonnantes et hallucinantes que le discours carcéral et pénal met sur la
scène publique ne sont qu’une écume de surface devant le caractère structurel
du problème de l’ensauvagement des mœurs qui détruit les valeurs républicaines
de justice, d’équité, de solidarité et d’excellence. C’est le resquilleur
économique, le resquilleur politique, le resquilleur institutionnel, le
resquilleur administratif et le resquilleur social qui ont pignon sur rue dans
un tel système de « feymania d’Etat ». La moralisation des comportements et la
rigueur dans la gestion que dit vouloir installer l’Opération Epervier plus
d’un quart de siècle après, auraient dû commencer par le respect de la
Constitution camerounaise de 1996, de la parole donnée à la tripartite de 1990
et des engagements de départ du Renouveau : comment peut-on prétendre prêcher
par l’exemple via l’Opération Epervier sans être soi-même exemplaire dans le
respect de la norme fondamentale en vigueur ?
Il
en résulte que l’Opération Épervier nous ne cesserons jamais de le dire,
traite des faits qui ne sont que des conséquences du mode de gouvernance
mafieux, désinvolte et libidineux instauré par le régime en place depuis 1982.
Elle est une façon de recycler ses propres malversations et déchets politiques,
humains et institutionnels pour en faire de l’humus nécessaire à sa
reconstruction individuel et corporatiste. Et pourtant le respect du principe
de causalité exige que la cause des problèmes soit combattue et non uniquement
leurs effets et/ou conséquences si on veut en extraire la racine vénéneuse.
L’Opération Epervier est la conséquence d’une cause qu’est le style vénal,
inconséquent, machiavélique, médiocre et mensonger de la gouvernance du
Renouveau National. La preuve en est que les malversations financières
continuent de plus belles au Cameroun au point de ne plus émouvoir que ceux qui
ne sont pas du sérail. Elles ne peuvent être stoppées par une Opération
Epervier qui laisse intacte la cause du problème (le Renouveau National) et ne
s’attaque qu’aux conséquences.
Conscient
de ce constat, nous considérons qu’en sortir exige de changer drastiquement de
cap politique par une remise en place et au centre des valeurs républicaines
garanties par des mécanismes de sanctions exemplaires à l’encontre de ceux qui
ne les respecteraient pas. Une élection comme le sénatoriales ne devrait plus
jamais se faire à une date décidée en catimini par un Président et via des élus
aux mandats désuets mais par des textes officiels qui en garantissent les
calendriers et officialisent publiquement toutes les modalités
organisationnelles. Nous sommes dans un pays où c’est l’homme d’Étoudi qui,
pendant 17 ans, juge que le Sénat est sans objet et décide, un beau matin, que
ce n’est plus le cas.
La restauration de
l’esprit républicain est donc ce que doit attaquer en priorité une politique de
reconstruction du pays car des calendriers privatisés de la vie politique et
des lois instables entrainent que le politique, l’institutionnel et le
constitutionnel ne soient que des instruments d’un homme et non des
stabilisateurs sociétaux. La sortie d’un champ politique régi par les humeurs
et les calculs politiciens d’un individu fût-il « le créateur » est
urgentissime. Il est vital pour le Cameroun de passer d’un régime où les
problèmes s’expliquent par « la force des choses », le hasard, à un régime qui
assume ses responsabilités en devenant le principal comptable des résultats
obtenus. Il est urgent d’envoyer aux calendes grecques une opposition politique
qui, à la moindre opportunité que présente un scrutin porteur sur le plan
individuel, sacrifie les valeurs, les stratégies et les combats collectifs.
C’est à se demander si le Biyaïsme n’est pas admiré par l’inconscient
camerounais où il fait florès. Sinon comment devient-on « créature » si ce
n’est par sa propre caution ? Comment fabrique-t-on un « créateur » parmi ses
compatriotes si on ne participe pas soi-même à la production des conditions qui
font de nous des « créatures » ? Comment le SDF peut-il brandir tour à tour un
carton rouge puis un carton vert aux sénatoriales s’il n’est lui-même animé de
la même logique que le pouvoir en place ? Comment des conseillers municipaux
aux mandats désuets peuvent accepter de choisir les sénateurs s’ils ne
cautionnent pas eux-mêmes la logique du pouvoir qui les maintient à leurs
postes et garantit ainsi leurs privilèges ? Ces quelques questions prouvent que
c’est moins la ressource humaine qui manque au Cameroun que des hommes
d’honneur, des hommes de conviction et des hommes qui pensent le politique
au-delà d’eux-mêmes pour le bien de tous : c’est le règne de la médiocrité qui
prévaut.
*
D’où peut venir l’espoir ?
Avec
les sénatoriales le régime de Yaoundé parachève son divorce d’avec la
démocratie en devenant acteur et metteur en scène de la vie politique du pays
pour lui-même et par lui-même sans se préoccuper du fait que le Sénat, en
dehors des informations qu’il pourrait donner sur la succession via le
dévoilement de l’identité de son président, n’a aucune valeur ajoutée sur le
quotidien de la société camerounaise dans son ensemble. C’est donc ce régime,
mieux, son mode de gouvernance, l’ennemi numéro un du peuple camerounais, du
Cameroun et de son avenir.
Rebâtir
l’espoir afin de reconquérir et de (ré) enchanter l’avenir ne viendra pas
d’extra-terrestres mais bien des têtes de Camerounais et de Camerounaises de
l’intérieur et de l’extérieur. Il nous semble dès lors que le souci primordial
qui devrait guider une telle reconstruction est la réinstauration, via un cap
politique vertueux, des valeurs qui tiennent les hommes et les femmes ensemble
malgré leurs différences et les mobilisent vers un projet de société ambitieux,
participatif et solidaire. Les citoyens camerounais ne peuvent s’impliquer de nouveau
en politique autrement que par l’absentéisme aux scrutins et sortir de
l’ensauvagement ambiant, que s’ils sont parties prenantes d’un projet et en
voient les conséquences positives sur eux à plus ou moins longue période. Nous
avons, dans un livre publié en 2011, donné une trentaine de réformes à mettre
en place dans tous les domaines. Ci-dessous, succinctement quelques-unes :
*
Le travail de mémoire et ses dividendes dans la reconquête du grand destin du
Cameroun : devant la douleur viscérale qui caractérise la mémoire politique
camerounaise, la diaspora camerounaise engagée fait, via la Fondation Moumié,
Citoyen pour la mémoire, le mouvement umnyobiste et d’autres associations et
acteurs, un travail de mémoire salutaire et inédit. Elle est en train de
combler avec talent et abnégation la dimension mémorielle d’un pan entier d’une
vie politique camerounaise peu encline à l’exaltation de ladite mémoire,
tellement ses acteurs performants se sont construits depuis toujours sur les
décombres de l’utopie collective fondée par Um Nyobè et ses camarades. Cette
diaspora camerounaise montre que cette utopie est toujours d’actualité au sens
de boussole, d’idéal et de canevas d’actions mobilisatrices pour un mieux être
ensemble au sein du triangle national et dans le monde. Il est donc honorable
et encourageant pour le Cameroun que sa diaspora politiquement engagée porte
ces valeurs et en assure la transmission pour les générations futures qui en
ont grandement besoin dans un pays frappé dans tous ses points névralgiques
d’une (dé)civilisation des mœurs et d’une criminalisation de l’Etat dont sa
classe dirigeante est la locomotive à grande vitesse. Ces valeurs mémorielles
peuvent permettre au Cameroun de sortir des modèles du resquilleur politique,
du resquilleur économique, du resquilleur électoral et du resquilleur
administratif qui font des émules chez les jeunes en se présentant comme des
statuts qui gagnent dans l’ensauvagement ambiant du pays. Nous proposons qu’on
mette en place une maison camerounaise de la mémoire afin de s’atteler à ce
travail de construction permanente de la nation et de son identité historique
via un travail de mémoire conçu comme un patrimoine national. L’un des
objectifs de la maison camerounaise de la mémoire est de construire un panthéon
des héros camerounais et panafricains de la liberté : une fois l’ensauvagement
des mœurs profondément installé, c’est l’horizon éthique et moral qu’il faut au
préalable reconstruire.
* La Constitution
camerounaise. Notre loi fondamentale est la colonne vertébrale à restructurer
pour sortir du détournement des valeurs républicaines : une limitation à
maximum deux, les mandats successifs à la tête de l’Etat, une élection
présidentielle à deux tours quels que soient les résultats du premier tour, une
création d’une commission électorale indépendante, l’établissement de la
responsabilité pénale du chef de l’Etat, l’éviction des notions d’allochtone et
d’autochtone, sont, entre autres aspects, quelques points importants pour
restaurer le capital confiance entre les populations et les gestionnaires de
l’Etat. Par exemple, la responsabilité pénale du chef de l’Etat protège le
Président de la République et les populations camerounaises d’un pouvoir sans
limites parce que responsable de rien comme le dit notre actuelle Constitution.
*
Remettre les réformes institutionnelles et constitutionnelles au service du
bien-être des populations camerounaises. Ce que montre de bout en bout cette
motion de censure est que le constitutionnel et l’institutionnel ainsi que
leurs réformes depuis 1982 n’ont pas ajouté plus de droits, plus de liberté et
plus de bien-être aux Camerounais. Il ont au contraire ajouté plus de droits,
plus de bien-être et plus de liberté au Renouveau National et à ses leaders.
Rebâtir le Cameroun exige de rétablir le constitutionnel, l’institutionnel et
leurs réformes dans leurs fonctions sociétales de coordinations équitables de
rapports entre acteurs puis entre acteurs et ressources. Une réforme
institutionnelle ou constitutionnelle qui n’améliore pas le sort d’un peuple ou
le fonctionnement de l’appareil d’Etat ne sert strictement à rien. Une réforme
institutionnelle ou constitutionnelle qui porte atteinte à la séparation des
pouvoirs ne sert pas la démocratie et la justice. Une réforme constitutionnelle
comme celle de 2008 qui déresponsabilise l’exécutif de ses actes pendant ses
mandats et après ceux-ci est une régression sociétale majeure.
*
Le droit de savoir des citoyens camerounais. L’Opération Épervier démontre que
les centaines de titres qui paraissent chaque matin au Cameroun n’ont aucune
capacité de faire un journalisme d’investigation. Les malversations
calamiteuses au sommet de l’Etat sont aussi si foisonnantes au Cameroun parce
que le système en place est opaque et tient tout le monde en laisse via une
curialisation des rapports sociaux, économiques et politiques. En conséquence,
les citoyens camerounais ne peuvent avoir accès à l’information que si c’est «
le chef suprême » qui parle en accusant ses proches collaborateurs par
transformation du discours qui opprime en celui qui sauve le pays des truands
en son sein. L’information n’est donc plus le produit d’une communication
gouvernementale transparente ou d’un travail d’investigation du quatrième
pouvoir. Elle devient le produit préfabriqué, soit par l’avocat de l’accusé,
soit par le ministère public, soit par le Président accusateur, soit par ses
hauts collaborateurs sur la défensive face à la barre. Le fait que ce soit le
discours carcéral et le discours pénal qui informent le pays de la déroute de
la gouvernance du Renouveau National après 32 ans de pouvoir, est le signe d’un
système où le droit des citoyens camerounais à savoir ce qui se passe
effectivement dans leurs pays n’est pas respecté. Conscients du fait que la
liberté d’expression et la liberté d’informer sont des caractéristiques
centrales d’une démocratie, nous affirmons ici qu’il est plus que vital de
favoriser un journalisme d’investigation au Cameroun afin que le citoyen
camerounais puisse jouir de son droit de savoir et que le journaliste soit
capable de protéger ses sources et de faire son travail en toute liberté. C’est
par exemple le journalisme d’investigation qui a entraîné la démission du
Président américain Nixon en révélant au grand jour le scandale du Watergate.
* Rétablir la justice
républicaine face à sa privatisation par des délinquants en cols blancs. La
justice camerounaise ne joue plus sont rôle républicain étant donné qu’elle a
perdu son indépendance une fois placée sous les ordres du pouvoir exécutif. La
séparation des pouvoirs qui permet à la démocratie de fonctionner et de rendre
justice a été foulée aux pieds par un pouvoir qui a fait de l’institution
judiciaire un instrument de répression de ses adversaires politiques et
serviteurs d’hier tombés en disgrâce aujourd’hui. Reconstruire la confiance
entre le peuple camerounais et son institution judiciaire exige la libération
de tous les prisonniers politiques innocents, la libération des prisonniers
politiques qui ont déjà purgé leur peine ou alors de ceux qui ont été reconnus
innocents mais demeurent incarcérés par la seule volonté du Président
camerounais. Construire une justice républicaine exemplaire nécessite que le
procès politique ne pollue plus notre justice en la transformant en une arène
de gladiateurs politiques où règne la loi du plus fort à la place du droit et
des lois. La justice camerounaise ne doit plus être l’assureur en dernier
ressort des carences du champ politique corrompu et vénal. Et si tel est le
cas, elle doit avoir son temps, le temps judiciaire à ne pas calquer sur le
temps des règlements de compte politiques que l’exécutif lui impose.
*
L’armée camerounaise doit être une institution spécialisée dans l’offre de la
sécurité individuelle et collective comme un bien public. Elle peut aussi être
équipée pour les travaux publics, l’agriculture et même la recherche
scientifique dans certains domaines liés à la sécurité de l’Etat camerounais.
Elle ne doit plus jamais être une armée qui tue les citoyens camerounais qui
manifestent pacifiquement leur mécontentement. Elle ne doit plus être un
instrument de blocage du processus démocratique en devenant un maillon
performant de la dictature et du partage de la rente économique. Nous proposons
qu’il soit introduit dans notre le Constitution une disposition selon laquelle
tout homme en tenue et armé qui tire à balles réelles sur un Camerounais en
train de manifester pacifiquement est radié à vie et écope de 40 ans de prison.
En outre, le chef de l’Etat camerounais étant le chef suprême des armées, notre
Constitution doit introduire une disposition suivant laquelle tout chef d’Etat
camerounais qui ordonne des tirs à balles réelles sur des populations
camerounaises en train de manifester pacifiquement voit déclencher en son
encontre une procédure d’impeachment (destitution) car cela correspond à une
trahison et à un délit majeur contre le droit du peuple camerounais à la vie et
à la liberté d’expression.
*
L’informatisation des mécanismes de paiement dans les administrations (du moins
dans les grandes villes) et les ambassades est urgente pour lutter contre la
corruption. Il est incompréhensible que des ministres et autres responsables
publics se retrouvent avec des liasses de billets (argent de l’Etat
camerounais) dans leurs bureaux alors que des banques, les comptes bancaires et
des moyens de paiements électroniques existent. Ces moyens modernes ne sont pas
utilisés parce que le resquilleur politique, le resquilleur administratif et le
resquilleur économique préfèrent manipuler du cash sans laisser de traces électroniques
pouvant prouver sans discussion les transactions frauduleuses et délinquantes.
Une façon de lutter contre une grande partie de la « feymania d’Etat » est
d’informatiser et de rendre obligatoire (dans toutes les grandes villes) le
règlement électronique de toutes factures, paiements et transferts d’Etat afin
d’en avoir la traçabilité nécessaire aux audits et évaluations. Cela limite
aussi le contact entre les hommes, réalité qui encourage la corruption étant
donné qu’il faut toujours être au moins deux dans ces choses-là.
*
Des bourses santé et éducation aux familles camerounaises les plus démunies.
Notre pays est en pleine croissance sans que les pauvres en voient la couleur.
Une politique mise en place par le feu Président Hugo Chavez fut d’accorder des
bourses santé et éducation aux familles les plus pauvres du Venezuela avec
l’obligation en retour pour ces familles d’envoyer les enfants à l’école et de
faire des visites mensuelles chez le médecin. Ainsi, chaque mois, les familles
n’ont droit à leurs bourses que sur présentation d’un carnet de présence de
l’enfant à l’école et de visite de celui-ci chez le médecin. Cela est très
important étant donné qu’on brise ainsi le cycle de pauvreté qui se transmet
parfois des parents aux enfants par les mêmes carences d’éducation et de santé.
Nous proposons, après avoir ensemble défini statistiquement ce que c’est qu’une
famille camerounaise très pauvre (revenu annuel réel via une ligne de pauvreté
à préciser), qu’une bourse santé et éducation d’une périodicité mensuelle soit
octroyée aux familles camerounaises les plus pauvres afin d’atteindre
l’objectif de rupture des cycles de pauvreté intra généalogiques. Ce transfert
de revenu se fait par virement bancaire dans un compte ouvert par l’Etat pour
les familles démunies qui n’en possèdent pas encore. Cela est un bon relais
national à la politique internationale basée sur les objectifs de développement
du millénaire. Si la croissance est là ainsi que le disent les indicateurs du
FMI et de la BM et que le claironne le Président camerounais à chacune de ses
visites hors du pays, alors elle doit bénéficier concrètement aux populations
pauvres via de tels transferts. Ce serait cela une véritable grande réalisation
montrant le basculement des faveurs d’un pouvoir vers l’amélioration des
conditions de vie des hommes, femmes et enfants démunis.
*
Restaurer l’intégrité morale et le respect de la fonction présidentielle. La
crise civique que connaît le Cameroun depuis 1982 a atteint son point culminant
avec l’Opération Epervier. Le Chef de l’Etat en est le principal responsable
car de deux choses l’une : soit le Président Biya n’a rien vu pendant toutes
ces années des malversations que dénonçaient l’homme de la rue en longueur de
journée : il est dans ce cas un Président candide et incompétent et donc
dangereux pour un pays qui pense avoir quelqu’un de compétent à sa tête. Soit
il savait tout depuis 1982 et a attendu le moment politiquement propice pour
lui pour enclencher les hostilités : dans ce cas il est un Président machiavélique,
manipulateur et menteur. Ces deux situations constituent un outrage à l’esprit
républicain et sont en grande partie à l’origine du discrédit qui frappe
actuellement le Président et la fonction présidentielle. Lorsqu’on abuse de la
fonction présidentielle par inflation de la révision constitutionnelle,
lorsqu’on est soit menteur, soit candide alors qu’on est le Président d’un
Etat, le peuple ne respecte plus ni l’homme qu’on est, ni le poste que cet
homme occupe, étant donné que l’homme et le poste ont été dévalués par des
comportements non exemplaires.
Nous avons donc aussi
pour devoir de réhabiliter le poste présidentiel et la fonction de Président de
la République camerounaise par la mobilisation créatrice de notre indignation
collective par rapport à la défaite morale du Renouveau National. Le peuple
camerounais doit apprendre à s’indigner afin que le Biyaïsme ne soit pas par sa
durée quelque chose qu’admirerait ce peuple-là dans son inconscient.
* Une commission d’enquête citoyenne sur
la gestion de l’Etat depuis que Mr. Biya est au pouvoir. Le politique, la
parole politique et la parole d’Etat ont perdu leur crédibilité et leur
magistère auprès du peuple camerounais. Le divorce est donc consommé entre les
Camerounais, leurs politiques, leur Etat et leur Président. Le Cameroun ne peut
continuer à fonctionner comme s’il n’y avait pas eu du Biyaïsme et ses
malversations multiples. Le pays doit en tirer les leçons pour l’avenir afin
que cela ne se reproduise plus jamais au sommet de l’Etat. Nous proposons que
cela se fasse via une commission d’enquête citoyenne dont le rôle serait de
mettre en lumière la gestion de l’Etat camerounais sous Paul Biya et d’en tirer
des résolutions pour l’avenir du pays. Pour ne pas refaire les mêmes erreurs,
le drame camerounais depuis 1982 doit servir à établir de nouvelles lois et
règles assorties de sanctions dynamiques dans le fonctionnement de l’Etat. Nous
devons sortir de l’extraordinaire devenu ordinaire par accoutumance à la
médiocrité généralisée. Nous ne pouvons sortir de la truanderie généralisée que
si nous en tirons des résolutions utiles pour l’avenir du Cameroun suite à une
mise en examen citoyenne de tous les détournements multiples sous Biya, de
l’affaire Albatros, des délits d’initiés du fils du Président par rapport à la
dette camerounaise ainsi que les implications de la première dame dans
plusieurs de ces affaires de l’ère Biya.
* Création d’un service national
d’évaluation afin de systématiser l’évaluation sur l’échiquier national.
L’Opération Épervier n’aurait pas pu exister si le Renouveau National avait,
dès 1982, mis en place un service national d’évaluation chargé d’évaluer
ex-ante, du monitoring des mandats et des évaluations ex-post de tous les
services, de tous mandats étatiques et de tous les patrimoines de l’Etat
camerounais ainsi que leur évolution d’une année à une autre. Il est donc
primordial de mettre en place un service national d’évaluation afin d’installer
au Cameroun une culture d’évaluation systématique afin de promouvoir l’accountability
dans tous les domaines. Tout ce qui concerne l’Etat et ses partenariats doit
faire l’objet d’un rapport d’évaluation et d’un suivi méticuleux par ce service
national d’évaluation dont la structure doit être décentralisée et indépendante
des pouvoirs politiques. Des sanctions sévères doivent aussi être prévues pour
punir de façon exemplaire et mémorable les contrevenants aux règles de la
gestion saine de la chose publique. L’évaluation des politiques publiques n’est
pas seulement une pratique qui renforce la transparence et la lutte contre la
corruption. Elle est aussi une aide à la décision et un outil de renforcement
des performances des politiques publiques nationales et internationales.
NB : Pour
prendre connaissance du catalogue complet des 30 réformes que propose l’auteur
comme solutions possibles au mal camerounais, lire Le Biyaïsme : Le Cameroun au piège de la médiocrité
politique, de la libido accumulative et de la (dé)civilisation des mœurs, l’Harmattan,
Paris, 2011.
© Correspondance : Thierry AMOUGOU,
Enseignant-chercheur, Université catholique de Louvain, Belgique.
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