Marafa

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Le prisonnier légendaire du SED.

dimanche 3 février 2013

Marafa Hamidou Yaya: "l'après-Biya doit commencer. La manne pétrolière est en train de se tarir"


Pour décrire la situation générale au Cameroun, quelques mots suffisent. Mon pays vit dans la stabilité, mais cette stabilité est stérile, et à terme insoutenable. Au cours des trente années de présidence de Paul Biya, la paix civile n'a connu que trois menaces sérieuses, en 1984, 1991 et 2008, rapidement contenues. 

Mais qu'a produit cet avantage crucial? Un fonctionnement social et politique intégrateur, animé par un esprit de sollicitude et de concorde? Non. La relation entre le pouvoir et la population est au mieux faite d'indifférence, au pire de crainte et de méfiance. La croissance économique et la réduction de la pauvreté? Non, cette dernière a au contraire augmenté: selon les chiffres du fonds monétaire international (FMI), le PIB [produit intérieur brut] par habitant est tombé de 800 dollars (soit 594 euros) en 1982 à 650 dollars en l'an 2000. 

Il faut donner son vrai nom à la paix civile qui règne au Cameroun: une sorte d'équilibre de la terreur entre le gouvernement et le peuple. Les racines en sont dans l'histoire du pays. La tentative de coup d'Etat de 1984 et les émeutes de Douala de 1991 et de 2008 ont été vécues par le Président Biya et son entourage comme de profonds traumatismes qui les ont enfermés dans une obsession unique: ne pas s'exposer, préserver le statu quo. 

Au sein de la population, ces périodes de troubles ont réveillé le souvenir des horreurs de la répression des maquisards de l'Union des populations du Cameroun (UPC), qui a commencé en 1955 pourrie s'achever qu'en 1970. 

L'Etat observe, impuissant, peut-être indifférent, la dégradation du système de santé et du système éducatif, la déforestation spéculative et l'exode rural de populations qui s'agglutinent dans des villes sans emplois à offrir, sans eau potable, sans électricité, sans moyens de transport, se développant selon une économie informelle et dans l'insécurité. 

Le peuple, lui, observe désabusé un Etat tantôt incapable d'organiser des élections législatives et donc contraint de prolonger le mandat des députés actuels ou de mettre en place le Conseil constitutionnel et le Sénat qu'une loi votée en 1995 rend à même d'assurer la transition en cas de vacance du pouvoir; tantôt capable, comme en 2008, de réviser en un temps record la Constitution pour abolir la règle limitant la présidence à deux mandats. 

De même, il voit une justice démunie contre la corruption subie par les citoyens, mais d'une efficacité redoutable lorsqu'il s'agit de neutraliser des rivaux. La même logique viciée de confrontation crispée entre l'Etat et la société civile s'est mise en place dans l'économie nationale, où l'on observe à partir des années 1980 une déformation sous l'effet de l'accroissement de la manne pétrolière. Celle-ci a contribué jusqu’à hauteur de moitié aux recettes budgétaires du pays, donnant à l'Etat les moyens de se retrancher dans sa sphère. 

C'est ce qui explique que peu d'attention et efforts aient été consacrés à l‘assainissement du pays pour attirer les investisseurs privés nationaux et étrangers, dont la perception est négative. 

En termes de corruption, le Cameroun se classe 134e sur 183 pays dans l'indice de Transparency international et en termes de facilité à faire des affaires, il est 161e au palmarès Doing Business de la Banque mondiale. La question n'est pas de savoir si cette situation de repli autarcique est déplorable; elle n'est simplement plus tenable. Les réformes ne peuvent plus attendre. Sur le plan politique et social, que le Chef de l'Etat et son entourage le veuillent ou non, il y aura bientôt un après-Biya. 

Il faut espérer que les frustrations et les ressentiments ne profitent pas de ce vide pour s'exprimer de manière explosive, mais on peut légitimement le craindre. Sur le plan économique, les réserves pétrolières s'épuisent: de 3 barils par habitant en 2000, la production est tombée à un en 2011. Surtout, la pression démographique est forte: d'ici à 2025, en l'espace de deux septennats à peine, la population aura presque doublé, passant de 20 à 35 millions d'habitants. 

C'est pourquoi le Cameroun doit d'urgence diversifier son économie et trouver des relais de croissance dans des secteurs créateurs à la fois de richesse et d'emplois. Ces sources sont clairement identifiées: gains de productivité dans l'agriculture (le cacao, le café, le coton, la banane), développement des services (les banques et les transports), qui sont déjà le premier contributeur à la croissance, rattrapage du retard dans les industries manufacturières et investissement massif dans les infrastructures. 

Les Camerounais attendent du Chef de l'Etat qu'il installe sans attendre des mécanismes efficaces de garantie de la sécurité juridique des biens et des personnes ainsi que les institutions qui permettront une transition démocratique et pacifique: la tête de l'État, et de manière générale l'établissement d'un État de droit. 

Je n'ai aucune fausse modestie, voire pas de modestie du tout pour ce qui touche à mon pays. 

Il faut vivre ensemble, et dans une concorde dont j'espère qu'elle ne cessera jamais, plus d'une centaine de groupes ethniques parlant deux cent cinquante langues vivent dans une grande diversité. Mon pays est entré avant le reste du continent dans l'ère post-coloniale. 

Successivement sous protectorat allemand en 1884, puis en 1918 sous administration et mandats français et Britannique, il a bien été dominé par les puissances coloniales, mais sans jamais avoir été une colonie et jamais au point que l'esprit d’indépendance (qui caractérise son peuple, et que celui-ci place avant toute autre valeur, ait pu être éteint. 

Deux spectres hantent le Cameroun: le spectre de l'après-Biya et celui de l'après-pétrole. Je le dis sans hésiter: mon pays a la capacité d'en triompher. 

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