C'est presque toujours le même mode opératoire: retrait puis remise du passeport, interdiction de sortie du pays, renouvellement de confiance, promotion, décoration et puis ... arrestation. C'est le style Biya. «Le style c'est l'homme», disait le philosophe français, Blaise Pascal. Le présent dossier de «Repères» recense quelques grandes victimes de l'opération Épervier interpellées presque toujours de la même façon. Ces personnalités avaient peut-être regardé les signes de leur déchéance mais ne les ont pas vus. Elles avaient peut-être entendu les alertes de leur déclin mais ne les ont pas écoutées. Comme hypnotisées, elles n'ont pas pu esquiver les serres de l’Épervier Des proies endormies par le prédateur.
M. MARAFA HAMIDOU YAYA, ARRÊTÉ MALGRÉ LES ASSURANCES
De toutes les victimes de l'opération Épervier, M. Marafa Hamidou Yaya est le seul qui est resté méfiant vis-à-vis de M. Biya. Il aurait pu choisir la fuite, un destin à la Ambassa Zang mais il est resté, parce qu'il se savait sous surveillance, mais aussi comme pour que son destin s'accomplisse. Comme mortifié, les serres de l'Epervier se sont saisies de lui. Et pourtant, l'ex-Ministre de l'Administration territoriale et de la décentralisation (Minadt) a vu venir sa déchéance.
Dans une correspondance publiée dans la presse début mai 2013, lui-même raconte le premier épisode qui aurait dû l'alerter. «Dans un rapport cousu de fil blanc, en date du 24 juillet 2008», écrit-il, le Député Mvondo Assam (Bonivan), vice-président de la Commission de défense et de sécurité à l'Assemblée nationale et par ailleurs neveu de Paul Biya, faisant référence à «différentes notes antérieures», soulignant «l'ambition d'un grand destin national» de M. Marafa, ainsi que sa «stratégie de conquête du pouvoir».
L'ancien Minadt réagit deux mois plus tard en saisissant le Chef de l'Etat par note afin de «solliciter respectueusement l'ouverture d'une enquête sur ces graves accusations».
Au cours d'une audience ultérieure, M. Marafa Hamidou Yaya évoque la nécessité de diligenter cette enquête. Mais le Président lui dit que son neveu ne sait pas ce qu'il fait. «Vous (le Président: Ndlr) m'avez chaleureusement renouvelé votre confiance et vous m'avez demandé de ne pas tenir compte de cet incident», raconte celui qui fut aussi Secrétaire général à la présidence de la République. Ce dernier poursuit: «Je vous ai remercié tout en vous disant que si le député Mvondo Assam ne sait pas ce qu'il fait, il ne devrait pas occuper un poste aussi sensible à l'Assemblée nationale».
Février 2010. Deuxième alerte. M. Marafa fait l'objet d'une interdiction de sortie du territoire national. Cette mesure est rendue publique alors qu'il préside à Bertoua la commission mixte de sécurité entre le Cameroun et la République centrafricaine. A son retour à Yaoundé, l'ex-Minadt sollicite une audience au cours de laquelle il dit avoir présenté sa démission.
«A cette occasion, je vous ai renouvelé l'impérieuse nécessité de nommer à la tête du Ministère de l'Administration territoriale et de la décentralisation une personne qui non seulement jouirait de votre confiance, mais aussi que l'on laisserait travailler en toute sérénité», déclare-t-il au cours de cette audience. Comme la fois précédente, M. Paul Biya à nouveau refuse la démission de son collaborateur et lui renouvelle sa confiance. Le Président va jusqu'à sermonner M. Amadou Ali alors Ministre en charge de la Justice et auteur de cette interdiction de sortie contre M. Marafa.
Troisième alerte. Ayant la convocation du corps électoral pour l'élection présidentielle du 9 octobre 2011, le Président fait recevoir pour une première, l'ancien Minadt par M. Belinga Eboutou, le Directeur du cabinet civil. Ce dernier, au nom du Chef de l'Etat veut savoir si M. Marafa va se présenter à cette élection. Le présumé candidat se dit alors choqué parce que M. Biya donne du crédit à la rumeur qui maintes fois lui a attribué la création secrète d'un parti politique. Il fait dire à son patron qu'après cette élection, compte tenu de l'effritement continu de la confiance depuis sept ans, il n'entendait plus continuer sa collaboration au sein du gouvernement.
Près d'un an après cet incident, M. l'ex-Sg-Pr est démis de ses fonctions de Minadt le 9 décembre 2011, le 9 février 2012, il effectue un retour triomphal dans son Garoua natal. Au mois d'avril, ce que M. Marafa a parfois secrètement redouté se produit. Il est présenté à un juge d'instruction le 16 avril, et est mis en détention préventive à Kondengui, la prison centrale de Yaoundé. A l'issue d'un procès marathon, il est finalement condamné à 25 ans de prison ferme pour avoir, selon la justice, détourné 29 millions de dollars en 2001 pour l'achat d'un avion présidentiel. Il est jugé «co-auteur intellectuel du détournement en coaction de la somme de 29 millions de dollars».
MME HAMAN ADAMA RASSURÉE PAR DES MEMBRES DU GOUVERNEMENT
Quelques jours avant son interpellation par les éléments de la Direction de la Police judiciaire (DPJ), l'ex-Ministre de l’Éducation de base (Minedub) se fait recevoir par le Secrétaire général du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) de l'époque. Des sources concordantes révèlent que Mme Haman s'est confiée à M. René Sadi, notamment sur ce qui était alors les rumeurs persistantes de sa prochaine interpellation. Le Secrétaire général du Rdpc lui aurait dit que ce n'était que des rumeurs. Mme Haman Adama sort de cet entretien plutôt rassurée sur son avenir.
D'autres sources indiquent que ses frères politiques du Grand nord, principalement M. Amadou Ali, le vice-Premier Ministre en charge de la Justice qui gérait l'opération Epervier lui ont affirmé que, compte tenu de son influence au sein du parti, elle ne devait pas s'inquiéter. Qu'elle ne pourrait pas faire partie des personnalités susceptibles d’être prise dans le tourbillon de la Justice.
Le 15 janvier 2010, l'Epervier s'empare quand même d'elle. Direction: la prison centrale de Yaoundé. C'est seulement en 2012 que Mme Haman Adama serait inculpé pour un détournement de 212 578 388 FCFA en coaction avec une dizaine de ses anciens collaborateurs. Le Tribunal criminel spécial devant lequel elle comparait depuis le 11 juin 2013 a révisé à la baisse le montant du détournement querellé, qui passe désormais à 102 233 043 FCFA.
Bien avant cette révision du corps du délit, l'ex Minedub avait procédé, depuis le mois de février, au paiement de la somme de 212 millions de FCFA au Trésor public, représentant le montant des sommes présumées détournées. Le 18 février, les avocats de l'ancienne Ministre ont annoncé à la presse avoir saisi, M. Laurent Esso, le Ministre de la Justice-Garde des sceaux d'une demande de remise en liberté de leur client, conformément à la procédure en pareille circonstance. Ces conseils attendent toujours que M. Esso daigne répondre favorablement.
M. JÉRÔME MENDOUGA, DÉCORÉ PEU AVANT SON ARRESTATION
La nouvelle tombe le 15 avril 2009. M. Jérôme Mendouga, ancien Ambassadeur du Cameroun aux Etats unis, vient d'être écroué à la prison centrale de Yaoundé. Or, en janvier de cette même année, lors de la cérémonie de présentation des vœux au Ministre des Relations extérieures, il avait été décoré par le chef de ce département ministériel, M. Henri Eyebe Ayissi. C'est que l'Ambassadeur qui a joui de la confiance de M. Biya de 1994 à 2008 ne sait pas que son rappel à Yaoundé, sa présence dans des cérémonies officielles et parfois mondaines organisées dans la capitale ne sont pas un gage de sérénité.
Seulement, depuis son retour au Cameroun en 2008, M. Jérôme Mendouga est constamment convoqué chez le juge d'instruction au Palais de justice de Yaoundé. Il est exploité pour savoir quel rôle il a joué dans l'acquisition d'un avion présidentiel en 2001. En effet, c'est lui qui, à Washington, a les travaux de remise à niveau du Boeing 767-200. En 2003, il effectue un voyage à Seattle au siège de Boeing afin d'avoir des propositions en vue de l'acquisition d'un appareil digne de ce nom pour une éventuelle location, puisque le Chef de l'Etat avait sollicité un appareil à large rayons d'actions et de capacité en matière de fret et de passager.
M. Jérôme Mendouga fait face à trois choix de propositions notamment un 757-200, deux 767-200. Il prend une part active à la signature du contrat de location de l'avion Présidentiel l'Albatros avec l'Us Bank national association. En 2004, il fait aussi partie de l'équipage de cet avion lors de sa livraison en direction du Cameroun. Mais lors du premier vol inaugural de cet avion la famille présidentielle connait des frayeurs à cause d'un incident technique.
Quand il est interpellé, la Justice retient contre l'ancien Ambassadeur la distraction de fonds. Le 3 mai 2012, il écope de 10 ans de prison ferme. Le Tribunal l'ayant reconnu coupable du détournement de cette somme de 121, 6 millions de FCFA. M. Mendouga s'est défendu d'avoir utilisé cet argent pour les charges de fonctionnement de l'Ambassade au moment où il était en fonction. Il doit aussi rembourser les frais de procédure fixés à 6,5 millions de FCFA. En plus, il est déchu de ses droits civiques pendant cinq ans.
M. IYA MOHAMMED, PASSEPORT RETIRE PUIS REMIS
M. Iya Mohammed qui a trôné durant 29 ans à la Direction générale de la Sodecoton et une dizaine d'années à la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) a regardé en refusant de voir les signaux qui annonçaient sa déchéance. Comme hypnotisé. En effet, si officiellement c'est à cause d'une vingtaine de fautes de gestion chiffrées à 9 milliards de FCFA pour la période allant de 2005 à 2010, qu'il est écroué le 10 juin 2013, M. Iya Mohammed fait peut-être semblant de ne pas comprendre que le pouvoir lui reproche son entêtement à diriger la Fécafoot.
A preuve, quand le vendredi 7 juin, le dossier d'arrestation de M. Iya Mohammed est acheminé au président de la République, ce dernier a depuis deux mois la version des faits du Directeur général de la Sodecoton. «Comment irais-je alors jusqu'à dissimuler les recettes des ventes d'huile et autres aliments de bétail? Invraisemblable pour un Directeur Général qui a bénéficié de tant de confiance de votre part, de tant de facilités, de bonheur et de grâces», écrit M. Iya à Biya le 8 avril 2013. Mais cela n'empêche pas au Président de donner son accord pour son interpellation le 9 juin dès son retour de Lomé, où il a conduit une expédition foireuse des Lions indomptables battus par les Eperviers du Togo 2-0. Match comptant pour les qualifications pour la Coupe du monde au Brésil en 2014.
Mais instruction va être donnée d'épargner aux autres membres de la délégation des Lions indomptables l'image de l'arrestation du président de la Fécafoot, d'où son interpellation le lendemain matin à l'hôtel Hilton de Yaoundé. «Je ne savais pas qu'on pouvait m'arrêter. Personne ne m'a jamais dit de laisser. Je savais que ce sont des gens sans importance qui manipulaient. Vraiment ce pays!», s'est- il laissé aller à la prison de Kondengui.
L'ancien Président feint de n'avoir pas vu que, comme pour les cas des personnalités interpellées et condamnées avant lui (Marafa, Yves Michel Fotso...) la machine judiciaire, dans le cadre de l'Opération épervier, se met généralement en branle avec le retrait des passeports. «Je devais présider le mercredi 03 avril 2013 le Conseil d'Administration de la Société des Servies pour l'Europe et l'Afrique à Paris, j'ai été refoulé publiquement à l'aéroport de Douala et mon passeport retiré. Le discrédit s'est du reste internationalisé, puisque j'étais déjà attendu en France», écrit M. Iya à M. Paul Biya toujours le 8 avril. Comme si le chef de l'Etat ne le sait pas.
De fait, lorsqu'on retire le passeport de M. Iya le 3 avril, les autorités judiciaires le lui remettent en mi-mai. Il Va assister, le 29 mai, au 63e congrès de la Fédération internationale de football association (Fifa) en Ile Maurice. Puis, rentre aux pays. Une semaine avant, un conseil d'administration se tient le 23 mai donne quitus à la gestion de M. Iya pour l'exercice 2012. Mettant ainsi fin à toutes sortes de supputations sur l'imminence de son interpellation. Mal lui en pris.
M. YVES MICHEL FOTSO, PROTÉGÉ PAR LA PRÉSIDENCE
Il aurait dû comprendre que la fin allait être fatale. En avril 2008, M. Yves Michel Fotso, ancien Administrateur Directeur général de la défunte Camair, se voit retirer son passeport. Il est sous le coup d'une enquête relative à des malversations financières. A la sous-direction des enquêtes économiques et financières de la DPJ, il quitte les services du Commissaire divisionnaire Benjamin Ntonga, le sous-directeur, en laissant derrière lui son document de voyage.
18 mois plus tard, un rapport circonstancié du dossier dit «Passeport de Yves Michel Fotso» est acheminé à Paul Biya. Ainsi instruit, le Chef de l'Etat donne des instructions dès lundi 14 septembre 2009 aussi bien au Cabinet civil de la présidence (Dcc) qu'à la Délégation générale de la sûreté nationale (Dgsn) afin que M. Yves Michel Fotso rentre en possession de son passeport. Le 16 septembre, c'est le DGSN en personne qui le lui restitue. L'homme à la tête d'un empire bancaire et industriel pesant près de 500 milliards de FCFA peut aller récupérer la dépouille de mère en France. Bien plus, il jouit désormais du droit d'aller et venir. Il ne lui vient pas à l'idée de s'enfuit comme d'autres l'ont fait.
Comme pour se défendre, il créé l'évènement médiatique de l'année en se confiant à trois chaînes de télévision privées au Cameroun en septembre 2008. Mais ses malheurs ne font que commencer. Il est plusieurs fois entendu par la Police, mais jamais mis en garde à vue. Finalement, le 1er décembre 2010, M. Yves-Michel Fotso est interpellé à Douala et conduit sous bonne escorte vers le siège de la Police judiciaire à Yaoundé. L'ancien Adg de la Cameroon Airlines (de juin 2000 à novembre 2003), est arrêté dans le cadre de l'affaire « Albatros », relative à des soupçons de détournement portant sur l'achat d'un avion présidentiel. S'ensuit un procès qui dure deux ans.
Le 22 septembre 2012, M. Yves Michel Fotso, solidairement avec MM. Marafa Hamidou Yaya, Jean Louis Chapuis, ex-Directeur général de la Commercial Bank of Cameroon (Cbc) en fuite, Assene Nkou, en fuite, écopent chacun 25 ans de prison ferme.
Tandis que Mme Juliette Nkonda, ex-Directrice générale adjointe de la CBC, et Geneviève Sandjoun, en fuite, sont respectivement condamnées à 10 et 15 ans de prison ferme. Ils payeront solidairement, comme dommages et intérêts à l'État du Cameroun, la somme de 21,3 milliards de FCFA et les frais de procédure qui ont été fixés à 1,103 milliard de FCFA.
Dans un courrier adressé au Ministre de la Justice le 19 janvier 2013, les avocats de l'homme d'affaires condamné solidairement avec Marafa et Cie, à 25 ans de prison, sollicite l'arrêt des poursuites après le remboursement de 886.752.217 FCFA par leur client.
M. ATANGANA MEBARA, L'ESTIME DU PRÉSIDENT JUSQU'À SON ARRESTATION
M. Jean Marie Atangana n'a rien cru jusqu'au bout. Homme de confiance du Président, il a connu une ascension fulgurante. Ministre de l'Enseignement supérieur de 1997 à 2002, Ministre d'Etat et Secrétaire général de la présidence de la République de 2002 à 2006, puis Ministre des Relations extérieures de septembre 2006 à septembre 2007, M. Mebara peut se targuer d'avoir été un collaborateur choyé. Lorsqu'il sort du gouvernement en 2007, M. Biya lui fait l'honneur de lui dire qu'il ne fera pas partie du prochain gouvernement. Fait rarissime. Peu de temps avant son arrestation, le Chef de l'Etat lui offre même des facilités pour qu'il aille se soigner à l'étranger. Rien ne pouvait alors perturber la quiétude de M. Mebara.
Seulement, en 2008 suite à une décision du Délégué général à la sûreté nationale (Dgsn), M. Edgar Alain Mebe Ngo`o, M. Atangana Mebara est assigné à résidence au quartier Bastos et interdit de sortie de la ville de Yaoundé « sans autorisation» dudit Dgsn. De même, ses passeports et autres titres de voyage sont confisqués. Peut-être l'ancien Sg-Pr a compris que le piège se referme sur lui mais il est trop tard. Il est arrêté le 6 août 2008 dans le cadre de l'affaire de l'Albatros.
Après quatre années de procédures, le 3 mai 2012, M. Mebara est déclaré non coupable de tentative de détournement de la somme de 31 millions de dollars US, débloquée par le gouvernement camerounais pour l'acquisition d'un avion neuf qui n'a jamais été livré. Le Tribunal a estimé que les faits n'étaient pas établis en ce qui concerne M. Mebara. Mais ce dernier n'est pas complètement innocenté, certains segments de l'affaire étant encore en cours d'instruction.
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