16 avril 2012-16 avril 2014.
Voilà 2 ans que l’ancien ministre et proche collaborateur de Paul Biya est
reclus au secrétariat d’Etat à la défense pour détournements de deniers
publics. Mais pour Marafa Hamidou Yaya, ce sont ses ambitions politiques qui ont
fini par le perdre. Conséquence, depuis son incarcération, il refuse de se
taire et porte de grands coups de griffe à un sérail camerounais sensible à ses
sorties médiatiques. Chronique de deux années d’une déchéance qui semble n’en
être pas une.
9 décembre 2011.
A la faveur d’un remaniement ministériel,
Marafa Hamidou Yaya est éjecté du gouvernement. Ainsi sonne le glas de 20 ans
de carrière administrative au cours de laquelle le natif de Bibemi, à Garoua
(nord), a servi tour à tour comme secrétaire d’Etat aux Finances, conseiller
spécial à la présidence, secrétaire général à la présidence et ministre de
l’Administration territoriale (Minatd). Alors que se referment les portes de la
gloire, celles de la descente aux enfers ne tarderont pas de s’ouvrir à cet
ingénieur pétrochimiste de 62 ans formé à l’Université de Kansas, aux
USA.
Dès janvier 2012, à Garoua, les fins limiers de la Direction
Générale de la Recherche Extérieure (une branche des services secrets
camerounais rattachée à la présidence de la République) entreprennent de
cuisiner certains hommes politiques du Nord proches de Marafa. Non pas au sujet
de l’affaire de l’achat de l’avion présidentiel dans laquelle il est
impliqué. Mais à propos de leur réaction et de leur sentiment suite à la sortie
du Gouvernement de l’ex-Minatd (Cf L’Œil du Sahel N°464 du 23 janvier 2012).
Notons que d’après un câble diplomatique révélé par Wikileaks en 2010,
l’ex-Minatd aurait révélé ses ambitions présidentielles aux diplomates
américains accrédités à Yaoundé. Ce déploiement des services de renseignement
intervient au moment où une descente de Marafa est prévue dans les prochains
jours à Garoua.
Le 9 février 2012,
soit deux mois après sa sortie du
gouvernement, Marafa est accueilli en héros à Garoua. Près de 2 000
personnes pour lui offrir un accueil chaleureux. Une démonstration de force à
ceux qui le croyaient politiquement mort, analyse certains observateurs. Mais
peu importe. Le Prince de Bibemi fait l’objet d’une surveillance policière de
tous les instants. Un journal local proche du pouvoir de Yaoundé (La Météo) va
rapporter qu’après le rendez-vous de Garoua, Marafa a regagné
précipitamment Yaoundé sur ordre de Martin Mbarga Nguele, le Délégué général à
la Sureté Nationale (patron de la police). Mais pour ses proches, il n’en est
rien. Courant mars 2012, Marafa éconduit la douzaine de policiers en
faction à son domicile au quartier Melen, à Yaoundé. Mais l’étau
sécuritaire, lui, se serre, se serre. Dans son édition du 11 au 17 mars 2012, le
magazine panafricain basé à Paris, Jeune Afrique, va, à sa une, présenter
Marafa Hamidou Yaya comme « un dauphin en eaux troubles ».
Arrive donc le 16 avril 2012.
L’ancien secrétaire général à la
présidence est convoqué chez le juge d’instruction près le tribunal de grande
instance de Yaoundé, le très redouté Pascal Magnanguemabe. Quelques heures
d’interrogatoire et Marafa Hamidou Yaya est inculpé de « détournements de
deniers publics ». Il sera immédiatement écroué à la prison centrale de
Yaoundé-Kondengui. Dès l’annonce de son arrestation, c’est le deuil à Garoua.
Le lendemain, 17 avril 2012, les partisans de Marafa au sein du parti au
pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, décident de
boycotter la cérémonie d’installation du nouveau gouverneur du Nord, Otto
Wilson. Un mouvement dénommé Jeunesse arc-en-ciel du Septentrion voit le jour
dans cette localité. Son porte-parole, Mocktar Oumarou, va déclarer dans les
colonnes du journal Le Messager : « Biya s’acharne sur les nordistes. Le combat
commence ». Des propos qui ont le don de mettre les services de sécurité et de
renseignement sur les dents. Ces derniers vont se mettre aux trousses du jeune
leader politique.
Les lettres de Marafa
2 mai 2012.
Quelques semaines après son incarcération, Marafa
Hamidou Yaya décide de rompre le silence. Dans une première lettre qu’il
adresse au chef de l’Etat, on en apprend des tonnes. A titre d’exemple : «
Cette indépendance d’esprit m’avait permis de vous dire, après l’élection
présidentielle de 2004, que ce septennat devrait être le dernier pour vous et
que nous devrions tous nous mobiliser pour le succès des « grandes ambitions »
afin que votre sortie de la scène politique se fasse avec fanfare, que vous
jouissiez d’un repos bien mérité, à l’intérieur de notre pays ». Tiens ! tiens
! « Est-ce donc la raison de la déchéance » ?, se demandent quelques uns. L’on
est tenté de répondre par l’affirmative. La saga épistolaire de Marafa se
poursuit de plus belle avec la 2e lettre à Paul Biya publié le 13 mai
2012.
Ici, ce qui n’était alors que de simples rumeurs et supputations
est révélé au grand jour par le concerné : « je suis porteur d’un projet
mettant en avant les exigences de PAIX et de JUSTICE permettant de bâtir une
société de confiance ».Voilà qui est dit. Et bien dit
Au sein de l’opinion, on blâme les sorties tardives de Marafa :
« Pourquoi en parles t-il seulement maintenant ? Où était-il pendant tout ce
temps ? ». D’autres vont même jusqu’à dire : « il devrait s’expliquer sur ce
qui l’amène en justice, pas sur ses supposées ambitions politiques ». Marafa
semble avoir été sensible aux préoccupations de cette dernière catégorie de
l’opinion. Sa 3e lettre aux Camerounais datée du 24 mai 2012 portera justement
sur l’affaire de l’avion présidentiel. Il choisi naturellement de se dédouaner
: « Je ne sais ni quand ce détournement a eu lieu, ni sur quoi il porte, ni de
quel montant il s'agit, ni qui en est l'auteur principal, ni quels sont les
complices. Je présume qu'il s'agirait de l'affaire relative à l'acquisition
d'un avion pour les déplacements du président de la République, pour laquelle
le juge d'instruction aurait été instruit de m'imputer une indélicatesse et
pour laquelle il avait rendu une ordonnance de disjonction en janvier 2010 et
dont j'ai eu connaissance …s'il s'agit effectivement de cela, je réitère
solennellement mon innocence ».
Pour le pouvoir de Yaoundé, la plaisanterie de mauvais goût a
assez duré. Il faut sortir l’artillerie lourde pour exploser les révélations
fracassantes de Marafa Hamidou Yaya qui ne cesse de déshabiller
publiquement le système en place. Ce sera fait dans l’Action, le journal de
propagande du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), parti au
pouvoir. Dans son édition n° 848 du 30 mai 2012, le journal du Rdpc (dont
Marafa est encore membre du bureau politique) mobilise sa rédaction, des
avocats et quelques experts pour rappeler à Marafa qu’il « n’est pas Kafka »,
que sa 3e lettre n’est qu’un « faux fuyant », qu’il est un « homme d’Etat dans
la rue », qu’il « gagnerait à faire profil bas » et qu’il met en péril « le
secret de l’information judiciaire ». « Écrira bien qui écrira le dernier »,
défie le sémillant Christophe Mien Zock, le directeur du journal. Alors que le
sérail est dans tous ses états, Marafa Hamidou Yaya qui, entre temps, à été
transféré dans une cellule du secrétariat d’Etat à la Défense (sièg de la
gendarmerie camerounaise), mijote silencieusement et secrètement les contours
de sa 4e lettre qui s’annonce riche en révélations explosives.
Le 4 juin 2012,
4e lettre au Chef de l’Etat. Cette autre
correspondance de l’ex-Minatd revient sur les transactions maffieuses entre
Transnet, une société sud-africaine et de hauts responsables camerounais. La
société sud-africaine avait, en 1994, reçu pour mission d’assurer la
maintenance des avions de la Cameroon Airlines (Camair). D’après la
correspondance, Transnet aurait versé des pots-de-vin à des autorités
camerounaises et sa négligence a entrainé le crash d’un avion de la Camair en
décembre 1995. Parmi les personnalités citées dans ce scandale, se trouvent le
ministre des Transports de l’époque (aujourd’hui ministre de la Communication)
Issa Tchiroma Bakary et l’actuel conseiller juridique à la présidence et proche
parent de Paul Biya, Jean Foumane Akame. Ce dernier, mis en cause par la lettre
de Marafa, aurait perçu dans son compte à la Société Générale de Paris plus de
30 milliards de F Cfa représentant les indemnisations versées par Transnet à l’Etat
du Cameroun suite à ce crash. Feu à volonté ! Les semaines qui suivront seront
de pure folie. La presse nationale fait large écho de ce scandale. Les
lieutenants du pouvoir en place ne tarissent pas de démentis vis-à-vis de ces
nouvelles révélations sur les chaines de radio et télé locales.
En pleine session parlementaire, l’Assemblée Nationale demande
des comptes. Le ministre Issa Tchiroma multiplie des conférences de presse pour
se dédouaner de ces accusations. La presse à gage (généralement proche du
pouvoir) ne dort pas non plus. Elle s’en ira fouiller dans les supposés
penchants homosexuels de l’ex-ministre d’Etat en publiant des listes des «
hommes-femmes de Marafa », des membres du « club homo de Marafa ». Pendant ce
temps, des tracts appelant à la libération de Marafa circulent à travers le
pays. A la 4e lettre, alors qu’il est déjà fixé sur la date de son
procès, Marafa décide de ranger sa plume. En attendant que la justice le
fixe sur son sort.
Le procès de Marafa
16 juillet 2012.
Le procès de Marafa Hamidou Yaya et Cie s’ouvre
au tribunal de grande instance (Tgi) de Yaoundé. Une foule nombreuse, composée
de curieux et hommes de médias, est massée à l’entrée principale de la salle
d’audience. Les forces de l’ordre (policiers et gendarmes) sont présentes.
Autour de 11h, un car de la gendarmerie se gare devant la cour. Marafa et ses
co-accusés (l’homme d’affaire Yves Michel Fotso et la banquière Julienne
Kounda) en sortent. Youyous et tonnerre d’applaudissements de la foule qui
scande « Marafa, président ! Marafa, président ! ». Ces ovations vont également
accompagner Marafa à sa sortie du tribunal. Le pouvoir, qui n’aurait sans doute
pas apprécié ce bain de foule offert à l’ex-Minatd, décide de sortir le muscle
sécuritaire. Mais en vain. Puisque le 24 juillet 2012, jour de la deuxième
audience, la foule gagne en immensité. Elle scande « prési (président !, ndlr)
libérez, prési liberez ! ». Pour se dérober de la foule hystérique, l’escorte
de Marafa est obligée de passer en catimini par une issue à l’arrière du Palais
de justice. Le pouvoir se rend compte que Marafa vient de conquérir les cœurs
d’une bonne frange de l’opinion et décide de monter plus haut.
A l’audience du 30 juillet, pas l’ombre d’un chat à l’entrée du
tribunal pour acclamer Marafa. Les services de sécurité ont reçu l’ordre d’y
empêcher tout attroupement. Toutes les entrées du Tgi du Mfoundi sont filtrées
par les forces de l’ordre. Il faut montrer patte blanche pour y accéder.
Curieux déploiement sécuritaire tout de même pour un prisonnier de droit
commun. Le 21 septembre 2012.
Jour du verdict. Le tout Yaoundé sécuritaire se
déporte au tribunal. L’axe qui relie la « Sonel Central » au Musée National en
passant par le Palais de justice est coupé à la circulation par les forces de
l’ordre. Une bonne partie de la presse désireuse de couvrir le procès est
éconduit par les forces de l’ordre (y compris votre humble serviteur qui verra
sa carte d’identité et son block note retenus par des gendarmes). Le 22
septembre 2012, au petit matin, le verdict tombe. 25 ans de prison pour Marafa
: « je suis déçu mais pas vaincu !» crie l’accusé. Autrement dit, « mes
ambitions politiques restent intactes et mon activité épistolaire va se
poursuivre ». Le 8 octobre 2012, dans une autre lettre, Marafa remercie le
peuple camerounais pour le soutien à son endroit et qualifie sa condamnation «
d’inique ».
La reconnaissance internationale
La reconnaissance internationale
Dès le début du mois de janvier 2013, Marafa troque les colonnes
de journaux camerounais contre des tribunes dans la presse internationale.
C’est ainsi que le 12 janvier 2013, l’ex-Minatd va accorder un entretien au non
mois célèbre Assane Diop du site d’information slate.fr et de Radio France
internationale. Dans cette interview, Marafa affirme s’agissant de son procès que
« le tribunal ne m’a trouvé coupable d’aucune malversation …mon procès est
politique » et au sujet de la gouvernance de Paul Biya, il déclare que : « à
chaque fois, au cours de ces 30 ans, que Paul Biya a eu à choisir entre la
modernisation politique et économique de notre pays, avec les risques de
perturbations inhérents à cette démarche, et l'immobilisme garant, selon lui,
de la paix civile, il a choisi l'immobilisme ». Panique à bord ! Marafa vient
une fois encore de donner un grand coup de pied dans la fourmilière.
La réaction ne va pas tarder. Dans son édition du 15 janvier 2013, Cameroon
Tribune, le quotidien gouvernemental titre (à sa grande Une, s’il vous plaît !)
: « Interview de Marafa : Diversion ». Dans un article, l’éditorialiste Essama
Essomba, écrit ce qui suit : « Cette communication et cette instrumentalisation
visent surtout à distraire. Loin de la préoccupation essentielle du justiciable
de préparer la défense de sa cause devant les tribunaux, notamment en appel, il
se présente comme la victime expiatoire des maux à lui imputés par le régime en
place. De surcroît, il entend détourner l'attention de ceux des Camerounais
attelés à travailler pour gagner le pain quotidien… ».
Mais n’empêche. L’opinion internationale commence à s’intéresser
de très près au cas Marafa Hamidou Yaya. En juin 2013, l’ambassadeur des USA au
Cameroun de l’époque, Robert P. Jackson rend visite à l’ex-Minatd au Sed. Le
mois suivant, le rapport 2012 du département d’Etat américain sur les
droits de l’homme au Cameroun fait de lui un « prisonnier politique ». De quoi
faire grandir sa côte politique et inquiéter ses contempteurs, au point que la
sécurité de ses proches en prend un coup. C’est ainsi qu’en janvier 2014, le
corps de sa secrétaire particulière de longue date, Christine Soppo Mbango, va
être retrouvé sans vie à son domicile au quartier Bastos à Yaoundé. Dans une
lettre publiée récemment, Marafa conclura à un « assassinat politique ».
Comme quoi, le chemin qui mène aux portes d’Etoudi est aussi
long que parsemé d’embûches. Alors, patience, monsieur le ministre
d’Etat!
© Correspondance particulière : Michel Biem Tong